Avec “Des pays en débat”, Pierre Henry retourne en studio pour décrypter un pays sous l’angle des droits de l’Homme. Les sujets abordés gravitent autour des libertés publiques, des droits des femmes et des diverses révoltes populaires dans certains pays du globe. Aujourd’hui : La Somalie
Roland Marchal est chercheur à la Fondation Nationale de Science Politique et spécialiste des pays de la corne de l’Afrique. Il est notre invité pour discuter de la situation en Somalie et plus largement la menace permanente du groupe Al-Shebab, terroristes islamistes qui s’emparent du territoire.
Entretien
L’organisation clanique de la Somalie alimente t-elle la guerre depuis 40 ans ?
Chaque société est organisée de façon plus ou moins différente. Les Somaliens ont un système d’organisation sociale clanique, un système segmentaire. On peut dire le clan sert à faire la guerre ; il sert aussi à faire la paix, il sert au développement. Le clan sert à tisser des liens, à constituer une identité commune. On peut pas le singulariser seulement sur un aspect positif ou négatif. Il est partie prenante de cette identité nationale et avec ses bons et ses mauvais côtés.
Cependant la guerre sévit en Somalie depuis 40 ans. Alors quelles sont les raisons ?
La guerre civile, comme toute guerre civile, n’a pas de date qui ferait l’unanimité. C’est à dire que des combats ont éclaté dans le nord de la Somalie, dans l’actuel Somaliland dès le tout début des années quatre-vingt. Mais le reste du pays est resté relativement calme jusqu’en 1988, 1989. Depuis 1990, effectivement, on peut dire qu’il y a une guerre civile inachevée en Somalie. Malgré tout, ça n’implique pas que les combats ont lieu partout, sur tout le territoire avec la même ampleur. Il y a une grande partie du Nord qui ont quelques confrontations « claniques » et puis surtout une lutte contre Shebab.
En novembre dernier, justement, les Shebab ont attaqué un hôtel du centre de la capitale, Mogadiscio. Le nouveau président somalien a annoncé diriger une guerre totale envers le groupe terroriste. Est-ce le premier dirigeant à proclamer mener une guerre aussi féroce contre les Shebab ?
Tous les présidents l’ont annoncé. Il est de loin celui qui a été le plus en avant dans la mise en œuvre. Depuis quatre mois, ils mènent une offensive qui se déroule essentiellement dans deux régions au nord de Mogadiscio, mais on voit des combats plus limités dans les région du sud de la capitale. L’attentat que vous mentionnez, c’est en fait une réponse des Shebab.
D’après vous, le démantèlement de ce réseau terroriste est il imaginable ?
Militairement, on voit qu’il est en train de perdre. Quelquefois même assez sérieusement comme la défaite dans des bastions qu’il a occupé pendant plus d’une dizaine d’années. Mais ce qui est encore pas très clair, c’est qu’est ce que le gouvernement va faire avec ces zones libérées. Comment il entend les gérer et quelle sera la participation des populations dans la gestion de leurs propres affaires ? Si vous avez un gouvernement qui est capable de mener une offensive contre les Shebab, avec certes un appui turc et américain, ça montre tout de même que la vision des Shebab n’est absolument pas majoritaire.
En savoir plus sur la Somalie…
Issu de deux colonisations, britannique et italienne, l’Etat de la Somalie voit le jour en 1960. Le Kenya et l’Ethiopie sont les voisins directs à l’Ouest. A l’Est, c’est une frontière côtière avec l’Océan Indien et le Golfe d’Aden, face au Yémen.
L’indépendance est un espoir d’union politique et culturelle qui chute neuf ans plus tard, lorsque le militaire Siad Barre prend le pouvoir par un coup d’Etat et proclame le socialisme scientifique inspiré de l’Union Soviétique. Son règne fut ponctué de plusieurs tentatives de putschs réprimées dans le sang, de révoltes populaires matées, d’une prolifération de mouvements de guérilla, de renversements d’alliances spectaculaires, alors même que l’économie somalienne sombrait dans un marasme total. Vingt ans après, en 1991 il sera chassé du pouvoir par un autre militaire. La communauté internationale tente d’intervenir en toute impuissance mais les guerres claniques se poursuivent, la famine s’installe et les chefs de guerre prennent le pouvoir.
Le groupe terroriste islamiste Harakat Al-Shabaab Al Mujaheddin (le mouvement des jeunes combattants) plus connu sous le nom de « Al Shabab » fait régner la terreur, en servant de branche militaire radicale aux combattants de l’Union des tribunaux islamiques.
De ces combats civils naissent des scissions en sous-Etats. Le Somaliland, par exemple, s’auto-proclame république en 1991; et puis plus tard le Puntland et le Galmudug dans les années 2010 déclarent leur autonomie. Pour la Somalie, on peut dès lors parler d’un “Etat failli” car la division est totale.
Les 16 millions d’habitants – pour la plupart arabophones et musulmans – ont des conditions de vie critiques. L’espérance de vie se situe à moins de 60 ans pour les femmes comme pour les hommes. La Somalie est minée par une organisation clanique féodale qui vous lie à votre clan d’origine à vie. Vous ne pouvez exercer le métier que vous voulez ni épouser qui vous voulez et dans ce schéma, les femmes sont évidemment des cibles de choix.
En 2022, on compte des centaines de morts par empoisonnement de puits, explosions, destruction des écoles et des habitations. Ajoutez à cela que près de la moitié de la population, soit 7,8 millions de Somaliens sont touchés par la pire sécheresse depuis au moins quatre décennies, aggravée par des facteurs climatiques.
Diffusion samedi 14 janvier à 8h20, rediffusion le dimanche à la même heure. La fréquence francilienne de Beur FM est 106.7. Si vous souhaitez écouter l’émission depuis une autre région française, vous trouverez toutes les fréquences en suivant ce lien.