« La détection des victimes de violences faites aux femmes est un acte médical à part entière »

Les soignants sont en première ligne dans la détection des victimes des violences faites aux femmes et dans l’accompagnement des victimes, rappelle dans une tribune au « Monde » un collectif de professionnels de santé et de personnalités. Ils doivent, à ce titre, bénéficier d’une meilleure formation sur ces sujets.
tribune publié sur le site lemonde.fr le 08 03 2023

Tribune collective.  Vingt-neuf. C’est le nombre de femmes qui ont été tuées par leurs compagnons ou ex-compagnons en France entre le 1er janvier 2023 et la publication de cette tribune, deux mois plus tard. Valérie, 52 ans, mère de trois enfants, tuée par son ex-compagnon à son domicile. Sihem, 18 ans, étouffée par son partenaire de 40 ans et dont le corps a été dissimulé à la lisière d’une forêt. Catherine, 46 ans, empoisonnée au mercure par son ex-compagnon car celui-ci « ne supportait pas la rupture ». Elle s’était déjà plainte des violences de son meurtrier.

Si l’on entend souvent qu’une femme est tuée tous les trois jours par son partenaire ou ex-partenaire, à ce constat vertigineux s’ajoutent toutes les « autres », les oubliées des statistiques officielles. Mises en lumière par l’Observatoire national des violences faites aux femmes, ces oubliées étaient, pour la seule année 2021, les 190 victimes de tentatives de féminicides et les 684 femmes qui ont mis fin à leurs jours ou tenté de le faire du fait des violences qu’elles ont subies.

C’est la partie immergée de l’iceberg des violences domestiques : plutôt trois femmes victimes par jour qu’une femme tous les trois jours. Au-delà d’un décompte tragique et alarmant, ces disparitions témoignent des écueils encore trop importants dans la prise en charge des femmes victimes de violences, et ce malgré la grande implication du tissu associatif et de l’ensemble des professionnels intervenant dans le parcours de soins.

Les professionnels de santé et le manque de temps et de moyens

Aussi, force est de constater que nombreuses sont les victimes qui n’osent pas franchir la porte d’une association ou d’un poste de police. Que les professionnels de santé soient infirmiers, pharmaciens, kinésithérapeutes, psychologues, sages-femmes, dentistes, ambulanciers, podologues ou médecins, les femmes victimes rencontrent ces professionnels de santé en moyenne six fois par an car ils sont en première ligne pour repérer les violences qu’elles subissent.

Lire aussi cet éditorial du Monde en janvier : Violences faites aux femmes : la nécessaire union

En effet, trois à quatre femmes sur dix présentes dans les salles d’attente des médecins seraient victimes de violences domestiques, et une victime sur cinq a consulté en premier lieu un professionnel de santé à la suite d’un incident violent. S’ils ont à cœur de proposer dans leur offre de soins une prise en charge efficiente des victimes qu’ils rencontrent, nombreux sont les professionnels de santé inhibés par le manque de temps et de moyens et freinés par un sentiment de solitude et d’inefficacité.

À l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, nous, professionnels de santé et soignants de tous horizons, rappelons notre mobilisation dans la lutte contre les violences faites aux femmes, inhérente à notre engagement, et affirmons que la détection des victimes est un acte médical à part entière, auquel nous prenons toute notre part.

Intégrer la prévention des violences

Conscients que nous sommes en première ligne pour lutter contre ce fléau, nous nous engageons à manifester clairement notre implication dans cette lutte, à questionner systématiquement notre patientèle, même en l’absence de signe d’alerte, à considérer l’impact des violences sur les enfants pour les protéger, et à accompagner, informer et orienter au mieux les victimes.

Nous entreprenons une réflexion continue sur notre manière d’exercer notre activité, et ce dès notre formation, afin d’améliorer notre capacité à prendre en charge les victimes sur le long terme. Parce que la détection et l’accompagnement des victimes requièrent une formation adéquate, nous affirmons qu’il est urgent de mobiliser des moyens pour intégrer systématiquement la prévention des violences domestiques et intrafamiliales dans les formations des professionnels de santé.

Nous nous efforçons d’assurer la promotion de bonnes pratiques auprès de nos pairs et de leur prêter notre concours lorsqu’ils le sollicitent, pour garantir la prise en charge la plus complète et efficace possible des victimes sur l’ensemble du territoire, et notamment dans les déserts sanitaires.

Pour offrir à chaque femme victime de violences, où qu’elle se trouve, les mêmes chances d’en sortir et de s’en sortir, nous affirmons la nécessité de nous entourer d’un réseau pluridisciplinaire d’experts (soignants, associations, services sociaux, police, justice…) pour un accompagnement global des victimes. Nous accueillons toutes les initiatives portées par l’ensemble des acteurs investis dans cette lutte afin de renforcer nos capacités et de disposer d’outils de prise en charge variés.

Pour que, collectivement, nous, victimes, témoins et professionnels, soyons moins démunis face à ce phénomène de société et l’attention qu’il nécessite. Aux victimes qui n’osent pas parler et à leurs proches, nous vous assurons de notre plein soutien et vous le disons haut et fort : nous, soignants, saurons accueillir votre parole et mettrons tout en œuvre pour vous épauler dans vos démarches.

Les premiers signataires de la tribune : Marguerite Barankitse, militante humanitaire burundaise, fondatrice de la Maison Shalom ; Marie Drucker, journaliste, productrice et réalisatrice ; Christiane Feral-Schuhl, ancienne bâtonnière de Paris, ancienne présidente du Conseil national des barreaux, ancienne membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ; Julie Gayet, actrice et ambassadrice de la Fondation des femmes ; Benoît Hamon, directeur général de Singa ; Ghada Hatem, gynécologue obstétricienne, fondatrice et médecin cheffe de la Maison des femmes ; Pierre Henry, président de France Fraternités ; Gilles Lazimi, médecin généraliste, enseignant, militant associatif, membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ; Jean-François Mattei, professeur émérite de pédiatrie et génétique médicale, ancien président de la Croix-Rouge française, ancien ministre de la santé ; Emmanuelle Piet, médecin de PMI, militante Collectif féministe contre le viol, ancienne membre du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes ; Anna Roy, sage-femme, autrice et chroniqueuse La Maison des maternelles, lauréate du prix Gisèle Halimi 2023.