Henri Peña-Ruiz veut donner une « boussole à tous ceux qui sont en première ligne pour la défense de la laïcité »

Henri Peña-Ruiz, philosophe, auteur du Dictionnaire amoureux de la Laïcité, a affirmé mardi 20 avril sur franceinfo que la laïcité était « très mal traitée » à la fois par le Rassemblement national et « la mouvance décoloniale ». Henri Peña-Ruiz, qui participera aux états généraux de la laïcité, lancés aujourd’hui par le gouvernement, espère « donner une sorte de boussole à tous ceux qui sont en première ligne pour la défense de la laïcité », à l’image des enseignants.

interview diffusé sur le site francetvinfo.fr le 2o 04 2021

Voir aussi:  Etats Généraux : le discours inaugural d’Henri Pena-Ruiz 

franceinfo : Pourquoi organiser ces « états généraux de la laïcité » ?

Henri Peña-Ruiz : Je crois qu’il y a une volonté de Marlène Schiappa [ministre déléguée à la Citoyenneté] de réaffirmer clairement la laïcité parce qu’elle est très mal traitée en ce moment. Elle est très mal traitée de deux côtés. D’un côté par l’extrême droite. Le Rassemblement national utilise la laïcité, mais sans vraiment la respecter, par exemple, en considérant que les quelques privilèges qui restent pour le catholicisme ne doivent pas être touchés. C’est une démarche identitaire. On réaffirme l’identité supposée d’une France qui fut la fille aînée de l’Eglise sous l’ancien régime. Et là, il y a une perversion. Le RN n’est pas réellement laïque. Il invoque la laïcité pour déguiser idéologiquement, ce qui est autre chose. C’est la première mâchoire de la tenaille identitaire. Et puis l’autre, c’est celle de la mouvance décoloniale qui calomnie la laïcité, quand elle prétend, par exemple, que la laïcité serait un racisme d’Etat, voire un athéisme d’Etat, ce qui est d’une absurdité absolue, en invoquant par exemple la loi de 2004 qui n’était pas une loi contre le voile. Ce n’était pas une loi contre le voile, c’était une loi destinée à préserver les écoles de tout prosélytisme religieux.

Le voile était-il quand même visé ?

Non. Je faisais partie de la commission Stasi [commission de réflexion sur l’application du principe de laïcité mise en place en 2003 par Jacques Chirac]. En République ou en démocratie, aucune loi ne peut être particulière, ne peut viser une communauté particulière. Une loi est générale. La loi de 2004, contrairement à ceux qui la baptisent à tort « loi sur le voile », est une loi sur l’ensemble des signes religieux, que ce soit la kippa, la croix, le turban sikh ou le voile.

« Qu’il y ait eu à un moment donné une alerte avec le port du voile est une chose, mais que la loi vise le voile uniquement, c’est autre chose et ce n’est pas le cas. » Henri Peña-Ruiz à franceinfo

La loi sur le séparatisme a été votée au Sénat. N’est-ce pas de la communication de la part du gouvernement ?

Je ne suis pas d’accord. Il est extrêmement important aujourd’hui de clarifier ce qu’on entend par laïcité. Quand vous avez des gens qui vous parlent de laïcité ouverte, inclusive, etc., il faut arrêter. Quand on dit liberté, égalité, fraternité, on ajoute : « Oui, mais la liberté, c’est la liberté inclusive, la liberté ouverte. La fraternité, c’est la fraternité ouverte ». Je constate que de tous les principes républicains, le seul qui soit adjectivé, donc relativisé, c’est le principe de laïcité. Je refuse toute adjectivation de ce mot laïcité. Ceux qui l’adjectivent, il y en a beaucoup, sont en fait des adversaires masqués de la laïcité.

Que peut-on en attendre des ces états généraux ?

D’abord, faire une pédagogie de la laïcité, ce que n’a pas fait vraiment l’Observatoire de la laïcité. Faire une pédagogie en expliquant la laïcité, pas en la critiquant, pas en la relativisant. Et d’autre part, donner une sorte de boussole à tous ceux qui sont en première ligne pour la défense de la laïcité. Je pense par exemple aux enseignants. Il y a aussi des cas où la laïcité n’a pas intervenir. Si on interdit le burkini dans les piscines, ce n’est pas pour des raisons de laïcité, c’est pour des raisons d’hygiène. Un prêtre qui se baignerait en soutane dans la piscine violerait autant l’hygiène qu’une dame qui se baigne avec un burkini. Donc, il y a des cas où la référence à la laïcité n’est pas utile. Il y a d’autres cas où elle est utile. Par exemple, rappeler la déontologie laïque qui veut que les enseignants, dans l’exercice de leurs fonctions et tous ceux qui participent à l’œuvre éducative et pédagogique respectent la neutralité vestimentaire. Pourquoi ? Parce que la neutralité est la seule façon de traiter à égalité toutes les sensibilités spirituelles. En France, à peu près un citoyen ou une citoyenne sur deux ne croit pas en Dieu. Il faut traiter à égalité les divers croyants, les athées et agnostiques. Tout privilège persistant pour une religion doit être supprimé.