Une association a profité du mois de ramadan, propice au partage, pour couper l’isolement des jeunes étrangers empêchés de rentrer chez pour cause de Covid-19.
article par Safia Ayache publié sur le site lemonde.fr/afrique, le 05 05 2021
Avec le ramadan, qui rythme le quotidien des Algériens depuis le 13 avril, Mamo a fait une expérience inédite. Cet étudiant malien de l’université des sciences et de la technologie de Bab Ezzouar, près d’Alger, a partagé un ftour, le repas de la rupture du jeûne, avec une famille algérienne. « Quand on m’a parlé de l’initiative, j’étais hésitant. Mais finalement c’était une expérience magnifique. Au-delà du repas, cela permet un échange de cultures et de points de vue », raconte l’homme de 22 ans, vêtu d’un pantalon à pince bleu et de chaussures cirées noires.
Parmi les étudiants subsahariens résidant en Algérie, beaucoup passent l’intégralité de leur cursus universitaire sans retourner au pays. Si certains y étaient contraints par leur situation financière, presque tous sont désormais logés à la même enseigne à cause de la fermeture des frontières, depuis mars 2020, à cause de la pandémie de Covid-19. « On peut partir, mais au risque de ne pas revenir », précise Maria Gorbena, une Equato-Guinéenne de 26 ans qui étudie les télécoms à Bab Ezzouar et n’est pas retournée dans son pays natal depuis deux ans.
Alors pour les couper de leur isolement, l’association Carrefour Cadenkoso a profité du mois de ramadan, propice au partage, pour appeler des familles algériennes à accueillir un ou plusieurs étudiants étrangers, tels Mamo ou Maria, le temps d’un ftour. « Le Covid a été une période difficile, il y a eu une rupture de contact et une rupture financière pour certains étudiants qui recevaient une aide de leur famille », explique Moussa Sissoko. Le doctorant malien en biologie des maladies infectieuses, installé en Algérie depuis presque dix ans, a créé Carrefour Cadenkoso en 2019 pour « regrouper les talents subsahariens et valoriser leur formation en Algérie ».
Plus de 8 500 étrangers
Quand il a lancé l’initiative « Ftour en famille », début avril, il ne s’attendait pas à un tel « enthousiasme » de la part des participants. Avec son équipe de bénévoles, il gère toute la logistique : de la visite aux familles d’accueil jusqu’à l’arrangement du transport. « En l’espace de six jours, six familles algéroises ont accueilli une vingtaine d’étudiants. Les discussions durent jusque très tard dans la soirée ! », s’exclame le trentenaire.
« Chez les étudiants internationaux, il y a ce lien familial qui manque, alors j’ai enfilé mon bazin [tenue traditionnelle malienne], j’étais joyeux et stressé comme si j’allais voir ma propre famille », raconte Mamo, qui n’a pas vu ses proches depuis son arrivée en Algérie pour des études en réseaux informatiques, il y a quatre ans. « Je devais rentrer à la fin de ma licence, mais ça n’a pas été possible à cause du Covid-19 », explique-t-il.
En 2020, le ministère algérien de l’enseignement supérieur estimait le nombre d’étudiants étrangers à un peu plus de 8 500. Mais selon Moussa Sissoko, leur nombre réel serait plus important. Car si certains étudiants, comme Mamo et Maria, bénéficient d’une bourse octroyée par leur pays pour étudier dans le cadre académique, d’autres viennent par leurs propres moyens pour suivre diverses formations.
« Certains restent en Algérie »
Ce brassage « est une opportunité immense, pour nous Africains, de faire des rencontres et d’apprendre sur les autres », précise Moussa Sissoko : « Il permet non seulement de créer un lien avec la population algérienne, mais aussi un pont entre les différentes populations africaines. »
Depuis l’indépendance du pays, en 1962, les universités algériennes ont accueilli 60 000 étudiants étrangers en provenance de 62 pays, selon le ministère de l’enseignement supérieur. « Les étudiants subsahariens sont une véritable porte d’entrée vers les économies et les marchés de leur pays. Pour les entrepreneurs algériens, ils sont une source d’information sur les langues, les traditions et les modes de consommation de leur société », poursuit Moussa Sissoko, qui travaille actuellement sur la formation d’un réseau d’anciens étudiants africains en Algérie.
« Il y a une nouvelle société qui se forme. Certains étudiants subsahariens restent en Algérie, ils se marient et travaillent ici. Les autres, une fois de retour dans leur pays, occupent souvent des fonctions importantes. Ce sont des personnes avec lesquelles l’Algérie doit maintenir le contact », répète le doctorant. Et de citer l’exemple de l’actuel ambassadeur malien en Algérie, diplômé de la section diplomatique de l’Ecole nationale d’administration d’Alger en 1982 – la même promotion que l’actuel ministre algérien des affaires étrangères, Sabri Boukadoum.
Safia Ayache(Alger, correspondance)