Footballeuses afghanes : après l’évacuation de Kaboul de 75 sportives, le combat de l’ancienne capitaine Khalida Popal continue

« Le monde a abandonné les femmes afghanes », s’insurgeait à la mi-août dans les médias internationaux Khalida Popal : « N’oubliez pas les femmes afghanes, elles n’ont rien fait de mal et il ne faut pas les oublier ! » Celle qui fut l’une des fondatrices de l’équipe nationale féminine de football en Afghanistan multiplie les appels à l’aide pour ses compatriotes, exprimant particulièrement son inquiétude pour ses anciennes joueuses.

[Des nuits blanches, toujours en alerte pour répondre aux questions. Gérer les médias, motiver les joueuses pour qu’elles continuent à résister, pour ne pas abandonner même sous les tirs, même battues. C’était dur. 75 joueurs et certains membres de leur famille sont hors d’Afghanistan. Un travail en équipe. Le travail continue.]

Un signe d’espoir est enfin venu éclairer le ciel obscurci par la crise afghane, ce 24 août 2021. L’évacuation de Kaboul de 75 footballeuses et athlètes afghanes, lors d’une opération organisée par les autorités australiennes, et saluée par les autorités internationales de football.

C’est dans un communiqué publié sur son site internet que la Fédération internationale des associations de footballeurs professionnels, la FIFPRO, a annoncé cette opération : « Ces jeunes femmes, en tant qu’athlètes et militantes, se sont trouvées en situation de danger et, au nom de leurs pairs du monde entier, nous remercions la communauté internationale de leur venir en aide », précise le communiqué.

La Fifa et le syndicat des joueurs s’étaient mis d’accord quelques jours plus tôt pour aider à évacuer les footballeuses et footballeurs d’Afghanistan qui le souhaitent, comme le confirmait Fatma Samoura, secrétaire générale de la Fédération internationale de foot. « On est en train de travailler avec la Fifpro », précisait alors la dirigeante de la Fifa, précisant qu’il fallait déjà évaluer « le nombre de joueuses et joueurs concernés« .

Le football féminin est une famille et nous devons nous assurer que tout le monde est en sécurité.Khalida Popal

Sur le site de la Fifpro, Khalida Popal salue cette opération : « Ces derniers jours ont été extrêmement stressants, mais aujourd’hui, nous avons remporté une victoire importante. Les footballeuses ont été courageuses et fortes dans un moment de crise et nous espérons qu’elles auront une vie meilleure en dehors d’Afghanistan. Mais il reste encore beaucoup de travail à faire. Le football féminin est une famille et nous devons nous assurer que tout le monde est en sécurité. »

Selon Le Figaro, ces footballeuses, mais aussi athlètes issues d’autres disciplines, ont dans un premier temps trouvé refuge en Australie, qui leur a délivré des visas. Jonas Baer-Hoffmann, le secrétaire général de la FIFPRO, s’est ainsi réjoui « de voir que ce groupe de footballeurs et d’athlètes a pu quitter l’Afghanistan, mais ses pensées vont à toutes celles et ceux qui restent bloqués dans le pays contre leur gré » .

Les femmes en première ligne de la charia
Mais le danger est toujours là et la mobilisation doit continuer, comme tient à le rappeler Khalida Popal. Sa famille, qui vit dans la ville de Herat, dans l’ouest du pays, rapporte une situation de danger permanent. « Les femmes de ma famille qui sont sorties dans la rue se sont vu dire de faire demi-tour et de rentrer chez elles, de ne pas aller à l’école, ou ont été battues« , confie l’ancienne footballeuse depuis Copenhague. Selon elle, des hommes armés passent de maison en maison à la recherche d’ennemis du régime, malgré les promesses du groupe islamiste de pardonner ses adversaires et d’œuvrer à la réconciliation nationale.

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Un outil de lutte pour les droits des femmes
Pour Khalida Popal, le football est un outil de lutte pour les droits des femmes. « J’étais l’une des personnes qui ont créé l’équipe dans le but de rester unies en tant que femmes d’Afghanistan, explique-t-elle. Nous voulions faire passer un message au monde et aux talibans : Nous ne sommes pas faibles, vous pourrez tuer nos soeurs, mais nous vous montrerons que nous sommes à leurs côtés. »

Depuis le balbutiement des premières équipes il y a une quinzaine d’années, l’engagement sportif a grandi. Avant de disparaître du jour au lendemain avec la chute de Kaboul. « Je n’ai pas pu aller à l’école ni avoir d’activités sociales. Nous voulions en quelque sorte prendre notre revanche sur les talibans avec le foot, montrer que les talibans sont notre ennemi. C’était notre manifeste », confie la jeune femme. « Partant d’un petit groupe, nous sommes montées jusqu’à 3 à 4.000 filles et femmes licenciées dans la fédération à différents niveaux », souligne Khalida Popal. « Nous avions des arbitres, des coachs, des femmes coachs ».

[C’est ce que notre génération a fait pour changer. C’est ce que nous avons changé. Prenez la balle au bond et changez le monde. Notre équipe a été construite dans ce but. C’est triste de voir que la génération des rêveurs est empêchée de rêver.]

« Mes joueuses sont des jeunes filles qui ont affirmé sur les réseaux sociaux que les talibans étaient l’ennemi. Elles voient maintenant cet ennemi armé arriver devant leurs portes et sous leurs fenêtres et elles ont peur de ce qui va leur arriver », raconte-t-elle. Une situation « déchirante », s’émeut-elle encore.

Ce qui est effrayant, c’est que personne ne veut les protéger, car les talibans font peur.Khalida Popal

« Lorsque les joueuses m’appellent ou m’envoient des messages vocaux, elles me disent : ‘Pourquoi nous ont-ils trahies ? Pourquoi les politiciens ont-ils abandonné les femmes d’Afghanistan ? Qu’avons-nous fait de mal ?‘, interroge la footballeuse. A l’heure actuelle, celles qui vivent dans le pays se déplacent d’un endroit à l’autre, confie-t-elle. Ce qui est effrayant, c’est que personne ne veut les protéger, car les talibans font peur en disant : ‘Si vous ne nous donnez pas d’informations sur nos opposants, vous et votre famille serez tués’. »

« Des paroles vides et creuses »
Lorsqu’elle était responsable des finances de la fédération afghane de football, Khalida Popal raconte avoir été confrontée au sexisme. Certains hommes refusaient d’accepter leurs chèques de salaire de sa part parce qu’elle était une femme. Mais selon elle, ce n’est rien comparé à la vie des femmes sous le régime taliban, qui ont contrôlé le pays de 1996 jusqu’à leur éviction qui a suivi les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis.

« S’ils suivent la charia, cela ne donnera aucun droit aux femmes, quel qu’il soit. Khalida Popal »

Face aux récentes promesses faites par les talibans, selon lesquelles ils s’engageaient à respecter les droit des femmes et leur permettraient de travailler et de s’instruire, bien que sous la charia (loi islamique), elle répond : « Des paroles vides et creuses. Ils annoncent que ce sera sous la charia, et bien nous avons vu ce que cela a donné dans le passé pour les femmes d’Afghanistan et d’autres pays, déplore-t-elle. S’ils suivent la charia, cela ne donnera aucun droit aux femmes, quel qu’il soit. Tous les rêves qu’elles ont s’évaporent. »

Difficile pour l’ancienne footballeuse de voir l’histoire se répéter deux décennies plus tard. « J’étais enfant lorsque les talibans ont pris le pouvoir et on me disait de ne pas jouer dans la rue, de ne pas aller à l’école, qui a d’ailleurs fini par être brûlée, se souvient-elle. Lorsqu’ils ont commencé à battre mon père et à menacer ma famille, nous sommes partis et nous avons passé près de huit ans dans les camps de réfugiés au Pakistan. » Pleine d’espoir, elle est ensuite rentrée dans son pays. Mais en tant que visage du football féminin, la jeune femme devient alors une cible visible de la haine de ceux qui s’accrochent aux croyances des talibans. On lui jette des ordures au visage dans la rue et reçoit des appels de menaces la nuit, comme elle le rapporte dans une interview en 2017 avec le Guardian. « Mais de fausses promesses ont été faites et une fois de plus, le pays est laissé seul et c’est un retour à la case départ. »

« C’était très douloureux, car depuis toutes ces années, je me bats pour autonomiser les femmes et les filles, pour gagner le droit de porter le maillot. Je dis maintenant : ‘Enlevez-les. Détruisez-les.’ Khalida Popal »

À la lumière des récents événements, Khalida Popal a exhorté les footballeuses de son ancien pays à détruire toute preuve qu’elles ont déjà joué, afin de se protéger. Dans le Washington Post, elle déclare : « C’était très douloureux, car depuis toutes ces années, je me bats pour autonomiser les femmes et les filles, pour gagner le droit de porter le maillot. Je dis maintenant : ‘Enlevez-les. Détruisez-les.’  »
Le combat continue pour toutes les autres joueuses
Chaque jour, elle recueille les témoignages de joueuses tétanisées, certaines poursuivies par les islamistes, d’autres battues par les talibans qui interdisent la pratique sportive aux femmes. « J’ai dû prendre les rênes avec mon équipe pour aider les joueuses à sortir d’Afghanistan. Elles pleuraient, cherchaient à être protégées », explique à l’AFP la trentenaire aux cheveux de jais, qui se décrit comme une « survivante ». Sur les sportives et militantes encore sur place, elle donne peu de détails. « Je leur ai parlé, pour qu’elles se regroupent, gardent espoir, n’abandonnent pas. C’était le plus dur », dit-elle. « Nous essayons de faire sortir plus de joueurs d’Afghanistan, nous allons faire tout notre possible pour exfiltrer nos joueuses« , assure-t-elle, le regard épuisé mais ferme.

« En tant qu’êtres humains, unissez-vous avec moi, combattez et soyez la voix de chaque femme d’Afghanistan », implore-t-elle. « Chaque femme qui reste dans le pays se sent trahie et abandonnée ». Les talibans « ont changé le drapeau d’Afghanistan, le drapeau (…) pour lequel nous étions fières de jouer », déplore la militante. « On nous a pris notre fierté« .

Le monde du sport mobilisé

L’ancienne entraîneure de l’équipe nationale féminine afghane, l’ancienne internationale américaine Kelly Lindsey, s’est joint à l’appel de Khalida Popal en demandant à la communauté internationale d’aider ces femmes et ces filles : « La communauté sportive internationale leur a demandé de défendre leurs droits. Nous leur avons dit que c’était la chose à faire. Nous avons la responsabilité, en tant que sportifs, de nous assurer qu’elles sont en sécurité maintenant. Elles sont une part importante du combat pour l’égalité de toutes les femmes à travers le monde – si elles peuvent le faire en Afghanistan, elles peuvent le faire n’importe où. Les instances dirigeantes du sport – boxe, taekwondo, football, toutes – doivent prendre leurs responsabilités. Qui suis-je pour dire que mes filles sont plus importantes que cette femme journaliste ou cette militante ? Sortez-les toutes », lance-t-elle sur le site du Guardian.