Munies de sifflets rouges et les pieds dans le sable, quelques centaines de femmes arrivent petit à petit sur une place publique en banlieue de Dakar. Au terme du projet humanitaire « 16 jours d’activisme contre les violences faites aux femmes » pour sensibiliser la population, les activistes se sont rassemblées ce lundi au centre de Guédiawaye, où vivent environ 300.000 Sénégalais.
article par Clément Di Roma, publié sur le site rtbf.be, le 10 12 2019
En mai dernier, le meurtre et la tentative de viol de Bineta Camara, 23 ans, dans l’est du pays avaient secoué la capitale et l’opinion publique. Au cœur de Dakar, des centaines de militantes du mouvement « dafadoy », pour « ça suffit » en wolof, défilent alors avec des t-shirts tachés de rouge, symboles d’une violence contre les femmes en augmentation.
Une dizaine de « boutiques de droits » bénévoles installées partout dans le pays ont récolté plus de 2700 témoignages de violences entre janvier 2018 et juillet 2019, selon l’Association des juristes sénégalaises (AJS). Cette année, les autorités recensent au moins 14 féminicides dans la capitale dont trois mineures, âgées de 10 à 16 ans.
Un délit, pas un crime
« Les violences se passent surtout au sein des familles. Des accords à l’amiable sont ensuite passés pour étouffer les agressions. Il faut que ça cesse ! », s’exclame la présidente d’honneur de l’AJS, Fatoumata Gueye Ndiaye. Après une vague de protestations en 2019 et la pause politique de la saison des pluies, la lutte contre les agressions sexuelles et les féminicides reprend à Dakar.
Les militantes accusent le gouvernement d’inaction contre la banalisation des viols – considérés par la loi comme des délits, et non comme des crimes – et des agressions. Elles réclament la fin de culture du « muugn », une expression wolof pour désigner la capacité des femmes à endurer les épreuves sans se plaindre, et du « sutura », qui signifie discrétion.
En novembre dernier, le président Macky Sall a pris la décision de criminaliser le viol, qui n’est puni qu’à hauteur de cinq à dix ans de prison au maximum. Un projet de loi, qui prévoit une détention pouvant s’étendre jusqu’à la perpétuité, sera examiné par l’Assemblée nationale dans les semaines à venir. « On demande à voir », affirme Fary Camara, une Dakaroise qui assiste au rassemblement et doute de la réelle application du projet. « Ça peut arriver à ma fille, ma mère ou ma sœur. Le vote de la loi doit aller vite », s’inquiète-t-elle, alors que les bruits stridents des sifflets de ses compatriotes résonnent dans les rues de Guédiawaye.
« Les gens ne parlent pas, le viol est trop tabou »
« On doit revenir vers un passé où l’Afrique et en particulier le Sénégal était plus patriarcale, où les femmes tenaient les rênes. L’histoire de notre pays, ce n’est pas une histoire de violences contre les femmes », affirme Safir Diop, l’une des organisatrices.
« En banlieue comme en centre-ville, les gens ne parlent pas, le viol est trop tabou », explique Penda Ndiaye, présidente d’une association qui recueille des témoignages depuis 1996. « Il faut des points d’écoute, une assistance juridique et surtout que la parole se libère davantage », reprend-elle. Malgré un long combat, Penda affirme qu’un long chemin a déjà été parcouru au Sénégal pour lutter : « Ce n’est pas notre première journée de mobilisation, et ça ne sera pas la dernière ».