Esclavage, abolition : Timothée de Fombelle blâmé pour « appropriation culturelle  »

Sortie le 11 juin 2020 en France aux éditions Gallimard, Alma —Le vent se lève de Timothée de Fombelle, illustré par François Place, ne sera sans doute pas publié aux États-Unis, ni en Angleterre, apprend-on. En cause, le fait que l’ouvrage aborde des thèmes comme l’esclavage et le combat de l’abolition, alors que son auteur, lui, est blanc…Et les editeurs craignent l’accusation d’appropriation culturelle

article par Camille Cado publié sur le site actualitte.com, le 24 06 2020

Célèbre auteur jeunesse, Timothée de Fombelle a publié son premier roman en 2006. Intitulé Tobie Lolness, il rencontre très vite un succès mondial et est traduit en 29 langues. Il lui a également valu de remporter une vingtaine de prix français et internationaux parmi lesquels le prix anglais Marsh Award, le prix italien Andersen et la plupart des prix français consacrés à la littérature jeunesse.

14 ans plus tard, la célébrité de l’écrivain français ne faiblit pas. Mais alors que toutes ces œuvres rencontrent un franc succès sur la scène internationale, son dernier roman, Alma, aurait été refusé par Walker Books, la maison d’édition anglo-saxonne de l’écrivain.

En cause, la légitimité d’un homme blanc pour évoquer des sujets tels que l’esclavage et le combat pour l’abolition. Ce premier volet d’une trilogie, illustré par François Place (Le Royaume de Kensuké, Tobie Lolness) raconte en effet l’histoire d’Alma, une jeune Africaine vivant au temps de l’esclavage.

Voici le synopsis pour Alma —Le vent se lève des éditions Gallimard Jeunesse :

« 1786. Le jour où son petit frère disparaît, Alma part sur ses traces, loin de sa famille et de la vallée d’Afrique qui les protégeait du reste du monde. Au même moment, dans le port de Lisbonne, Joseph Mars se glisse clandestinement à bord d’un navire de traite, La Douce Amélie. Il est à la recherche d’un immense trésor. Dans le tourbillon de l’Atlantique, entre l’Afrique, l’Europe et les Caraïbes, leurs quêtes et leurs destins les mènent irrésistiblement l’un vers l’autre.

 “Quand on est blanc…”

Un sujet « passionnant, mais trop délicat » du point de vue de la maison, explique l’écrivain dans une interview du Point. « Quand on est blanc, donc du côté de ceux qui ont exploité les Noirs, on ne peut pas décemment s’approprier l’histoire de l’esclavage. Ils ont aimé le livre, mais, en effet, et pour la première fois, ils ne le publieront sans doute pas… »

Malgré le fait que l’auteur ait été mis en garde des risques d’être accusé d’appropriation culturelle, il explique avoir suivi son envie initiale, pour éviter l’autocensure.

Et de reprendre : « Le bon côté tout de même de ces procès en légitimité est que l’on est contraint de redoubler de vigilance. Je suis un homme blanc du XXe, je ne suis pas historien, alors pour raconter une petite jeune fille noire du XIXe, je me suis vraiment beaucoup documenté, j’ai consulté des archives, des journaux de bord, j’ai beaucoup lu sur l’Afrique ancienne et j’ai voyagé. »

Des années de travail nécessaire pour raconter la traite négrière du point de vue de ceux qui en ont souffert. Malgré un projet sérieux et un album salué par la presse française, un détail, et non des moindres : « Je suis un raconteur d’histoires, blanc » reprend Timothée de Fombelle.

« Mais qu’un homme blanc puisse endosser le rôle d’une petite fille noire, qu’un écrivain puisse raconter l’histoire de la traite négrière du point de vue des esclaves même si cette histoire n’est évidemment pas la sienne, c’est pour moi la définition même de la littérature… » justifie-t-il.
Priver les enfants d’une histoire sur l’esclavage

L’auteur jeunesse évoque également le fait que de nombreux jeunes lecteurs seront privés de cette histoire, d’autant que « rien ou presque n’a jamais été écrit sur l’esclavage en littérature jeunesse ». C’est « le plus absurde » dénonce-t-il.

En outre, il s’agit d’un sujet auquel ne sont pas très familiers les jeunes lecteurs, souvent d’ailleurs « très vite expédié dans les programmes scolaires », d’après l’auteur.

« Et il vaudrait mieux priver des enfants de cette connaissance plutôt que d’admettre qu’un blanc soit l’auteur d’un tel livre ? Voilà ce que ce refus de publication signifie : mieux vaut que les enfants n’aient pas accès à ce livre, tant pis s’ils continuent d’ignorer la réalité de l’esclavage. »

Et de conclure : « C’est le message que j’essaie de faire passer modestement à Walker Books. Je ne peux pas croire qu’on préfère qu’un livre n’existe pas… »

Contactée, la maison d’édition Walker Books n’a pas encore fait suite à nos demandes d’éclaircissement.

Alma T1. Le vent se lève — Timothée de Fombelle — illustrations de François Place — Gallimard — 9782075139106 — 18,00 €