Avec “Des pays en débat”, Pierre Henry retourne en studio pour décrypter un pays sous l’angle des droits de l’Homme. Les sujets abordés gravitent autour des libertés publiques, des droits des femmes et des diverses révoltes populaires dans certains pays du globe. L’Irak est notre pays du jour.
Pierre Berthelot est professeur de géopolitique et spécialiste du Moyen-Orient, plus précisément de la géostratégie de l’Irak, et chercheur associé à l’IPSE. Aujourd’hui, sur fond de révolte, nous l’interrogeons sur la situation en Irak.
Entretien
Un mouvement de contestations s’est emparé des rues irakiennes, quelle ampleur a-t-il ? Est ce qu’il représente toutes les couches de la société ?
Ecoutez, ce mouvement de contestation n’est pas nouveau. Il existe en fait depuis des années. Et maintenant, concernant l’ampleur de ce mouvement, on peut dire que jusqu’ici, il n’a pas réussi à renverser les différents gouvernements qui se sont succédé. Donc on pourrait dire que d’une certaine manière, son efficacité est limitée. Pour une raison simple, c’est que on est dans un pays marqué par le communautarisme et donc il est très difficile d’obtenir d’une certaine manière un vote ou un soutien majoritaire dans un système communautaire. Donc ça, c’est une raison importante qui fait que jusque là, on pourrait dire que cette contestation, et bien ne réussit pas à changer profondément finalement la situation politique en Irak.
La contestation repose sur un motif principal ou sur toute une série de récriminations à l’égard du pouvoir central ?
Alors il y a deux éléments. Il y a la contestation du pouvoir central et notamment de la corruption. Ça, c’est un élément très important. Mais on critique aussi les influences étrangères puisqu’on sait que depuis le renversement il y a 20 ans de Saddam Hussein, et bien l’influence iranienne, s’est considérablement accrue et pendant un temps, l’influence américaine qui aujourd’hui est en régression, mais qui reste tout de même non négligeable, ainsi que celle de plusieurs pays voisins du Golfe. Donc c’est à la fois des critiques du gouvernement sur le gouvernement central, mais aussi des critiques et finalement des influences géopolitiques étrangères. Donc le parti au pouvoir ou les partis au pouvoir sont critiqués pour ces deux éléments, c’est à dire le fait qu’ils ont un agenda entre guillemets, souvent étrangers, et aussi qu’en plus ils ne sont pas capables de résoudre les problèmes internes de l’Irak parce qu’il n’y a pas de stabilité politique et parce qu’il y a de la corruption.
Le parti Baas était l’organe de pouvoir, la main armée de Saddam Hussein, et s’est toujours déclaré comme étant laïc en tenant les religieux à distance. à la suite de l’effondrement du régime de Saddam Hussein, on a vu resurgir l’idée d’une laïcité qui parfois séduit au sein même des sphères religieuses. Selon vous, cela a une réalité et quelle chance ça a de trouver une issue crédible ?
Alors, ce qui est très intéressant, c’est qu’en fait l’idée d’une espèce de laïcité dans l’islam a longtemps existé, en particulier au sein du chiisme, puisque pour les chiites, souvent, le fait d’associer la politique et la religion était inévitablement un facteur de pourrissement de la religion, en tout qui allait contribuer à noircir ou à ternir la religion puisque la politique, par définition, est faite de compromis et d’accommodements. Et quand Khomeini a instauré la doctrine du Velayat-efaqih, c’est à dire la jurisprudence du docte, il a rompu avec une espèce de pensée religieuse chiite qui était longtemps dominante. Et c’est pour ça d’ailleurs qu’il a créé en Iran une école à Qom qui se veut rivale de l’école chiite originale qui est de Nadja, puisque c’est le berceau en réalité du chiisme. Il est en Irak, il est pas en Iran puisque l’Iran s’est converti par son monarque au XVIᵉ siècle au chiisme et donc Khomeini jusqu’à aujourd’hui d’ailleurs est critiqué ou en tout cas cette théologie est critiqué jusqu’ à aujourd hui par des des grands dignitaires chiites, mais bien sûr non iraniens la plupart du temps. Donc ce n’est pas tout à fait incohérent. Et effectivement, comme souvent, on essaye, on voit d’avoir l’imprimatur ou le soutien des autorités de Najaf et bien souvent celle ci rechigne d’une certaine manière à accorder cette couverture religieuse à des dirigeants politiques qui cherchent à, entre guillemets, légitimer leur combat par le soutien des religieux. Donc effectivement, cette idée n’est pas totalement infondée, d’une séparation de la religion et de la politique qu’à l’inverse tentent d’incarner par exemple Mokhtar Hadar qui lui est un peu dans la confusion du religieux et du politique.
Nous savons qu’un certain nombre de partisans de l’indépendance du Kurdistan en Iran traversent la montagne à la frontière irakienne pour accéder à des camps de sûreté. Est-ce que l’Irak sert de base arrière aux Kurdes iraniens ? Y a- t-il une duplicité du gouvernement irakien à l’égard du mouvement d’indépendance kurde, notamment en provenance du Kurdistan iranien ?
Je ne pense pas de la part du pouvoir central de Bagdad, parce que je rappelle que dans notre système communautaire irakien, qui a été importé d’ailleurs par les Américains, est calqué un peu sur le funeste modèle libanais. Ce sont les chiites qui exercent le vrai pouvoir à travers la position de chef de gouvernement, c’est à dire de premier ministre et on sait qu’on ne peut pas avoir un premier ministre désigné chiite sans au moins l’accord tacite a minima des Iraniens. Par contre, ce qui est certain, c’est que la frontière est très poreuse entre le nord de l’Irak, donc la région autonome du Kurdistan irakien qui a des velléités d’indépendance et la frontière irako iranienne. Donc là, on peut penser qu’effectivement il y a peut être de la part du gouvernement régional du Kurdistan qui, je le rappelle, est assez proche de Washington, en tout cas, qui a gardé des bonnes relations, peut être que là, il y a peut être quelque chose qui se passe, mais je doute fortement que le pouvoir central soit favorable à ce soutien. Mais c’est peut être différent de la part de certains Kurdes irakiens.
Un point sur l’Irak
L’Irak est un pays un peu plus petit que la France, arabophone et de culture musulmane chiite. Les 43 millions d’habitants, pour la plupart arabes ou kurdes, se concentrent autour du Tigre et de l’Euphrate. Une zone arrosée est rare dans la région, elle donne d’ailleurs son nom à l’Irak, provenant de araqa en arabe, qui signifie “fertile”.
Le royaume d’Irak et Saddam Hussein
De l’extinction du royaume d’Irak par coup d’Etat en 1958 naît une république, socialiste. Le droit des femmes n’est pas encore tout à fait inséré dans les mœurs, mais Naziha al Dulaimi, pacifiste et communiste irakienne, est ministre d’Etat. Une première pour l’histoire de l’Irak et du monde arabe tout entier. Dix ans plus tard, un ouragan déferle sur la classe politique irakienne. Il s’appelle Saddam Hussein. Les 4 insurrections kurdes qui ont émergé entre 1961 et 1986 aboutissent deux ans plus tard à l’Anfal, une opération répressive aujourd’hui considerée comme génocide du peuple kurde. On compte 100 mille morts civils.
Au petit matin du 2 août 1990, juste deux ans après la décennie de guerre qui opposa l’Irak à l’Iran, Saddam Hussein lance l’élite de son armée à l’assaut de l’émirat du Koweit. En quelques heures, le territoire est annexé. Saddam justifie cette invasion par le vol de pétrole possiblement opéré par le Koweit. La vraie raison est plus profonde : l’Irak n’a jamais vu d’un bon œil la création de cet État par les colons britanniques au début du XXe.
L’ONU condamne l’invasion par Saddam Hussein ; l’armée américaine intervient en Irak et déclenche ainsi la première guerre du Golfe.
La guerre en Irak
Dix ans plus tard, après les évènements des tours jumelles en 2001, le président Bush déclare la guerre à l’Irak, une nouvelle fois, sous un prétexte fallacieux, celui de la présence inventée d’armes de destruction massive. Au grand désespoir de l’ONU et de Dominique de Villepin alors ministre des affaires étrangères défendant avec brio la non-participation de la France à cette aventure désastreuse.
Mais rien n’y fait, Saddam Hussein est défait, pendu le 30 décembre 2006. L’instabilité politique, économique et sécuritaire est un terreau fertile à la montée de Daech dans le pays. L’Irak est un pays détruit par des années de guerre, rongé par les instabilités politiques internes. Depuis quelques mois, le dinar irakien a perdu 14% de sa valeur. La pauvreté gangrène les populations et le nouveau président en place, Abdel Latif Rachid, kurde d’origine, doit affronter les nouveaux enjeux de son pays.
Diffusion samedi 8 avril 2023 à 8h20, rediffusion le dimanche à la même heure. La fréquence francilienne de Beur FM est 106.7. Si vous souhaitez écouter l’émission depuis une autre région française, vous trouverez toutes les fréquences en suivant ce lien.