« Des pays en débat » : La situation en Syrie vu par Raphaël Pitti

Avec “Des pays en débat”, Pierre Henry retourne en studio pour décrypter un pays sous l’angle des droits de l’Homme. Les sujets abordés gravitent autour des libertés publiques, des droits des femmes et des diverses révoltes populaires dans certains pays du globe. Aujourd’hui, on vous parle de la Syrie. 

Médecin anesthésiste-réanimateur, spécialiste en médecine de guerre et responsable de la formation pour l’ONG Mehad, Raphaël Pitti est notre invité. En 2018, il publie « Va où l’humanité te porte », aux éditions Tallandier, témoignage de son action humanitaire en Syrie et raconte ses origines et son parcours. En 2022, par l’ONG Mehad (ex-UNOSSM), il ouvre un centre de formation à la médecine de guerre à Lviv, en Ukraine. Raphaël Pitti nous parle aujourd’hui de la situation en Syrie et des conditions d’accueil des refugiés.

Position géographique de la Syrie

Entretien avec Raphaël Pitti

Vous êtes intervenu à nombreuses reprises en Syrie depuis le début de la guerre qui ensanglante ce pays. Est-ce que pour les auditeurs de Beur FM, vous pouvez nous dire quelle est la situation aujourd’hui en Syrie ?  

Alors on peut considérer que, d’une certaine manière, le régime a fait occuper aujourd’hui plus de 60 % du territoire syrien. Il reste à peu près deux poches, une poche au Nord-Est qui est entre les mains des forces kurdes, mais qui, quelque part, collaborent maintenant avec le régime. Et de l’autre côté, vous avez une zone, celle du Nord-Ouest, beaucoup plus souvent appelée la zone de Idlib dans laquelle y a environ 70 000 rebelles qui sont là, qui organisent la vie dans cette zone là. Cette zone est bien évidemment encerclée au sud par le régime et au nord par la Turquie. Cet endroit dans lequel il y a environ 5 millions de personnes, dont 2 800 000 personnes qui sont des déplacés internes en Syrie, ils sont totalement dépendants de l’aide humanitaire internationale au travers d’un corridor qui persiste encore, c’est le corridor de Bab El-Oued, où l’aide de l’ONU passe par là.

Et donc vous vous êtes intervenus en Syrie dans cette zone ? 

Oui, notre ONG est présente depuis depuis le début de la guerre, à la fois dans le nord ouest et dans le Nord-Est. Nous avons des structures médicales, des cliniques, des centres de soins primaires, des hôpitaux, des centres de dialyse aussi. Nous avions à peu près 1200 personnes de notre ONG qui travaillent à la fois dans le Nord-Ouest et dans le Nord-Est. Et nous avons aussi notre centre de formation pour les personnels soignants dont j’ai la responsabilité.

La Syrie, c’est aujourd’hui des millions de déplacés, c’est 6 millions de réfugiés qui sont à l’extérieur des frontières syriennes. Est ce que vous pensez qu’un retour est possible aujourd’hui en Syrie pour un certain nombre de ces réfugiés qui parfois sont très mal accueillis dans les pays voisins ? 

Vous avez raison de le dire et de le souligner, quelquefois on les pousse à rentrer de force, où les conditions de leur sécurité ne sont pas du tout réunies, c’est même l’ONU qui le dit. Bien que les gouvernements comme le gouvernement libanais ou le gouvernement jordanien, voire le gouvernement turc maintenant, tentent de faire croire qu’il est possible pour les Syriens de retourner dans leur pays. Les conditions, sur tous les points de vue, de leur sécurité mais aussi sur le plan économique, le pays est complètement détruit. Il vit une inflation très importante :1 40 % en 2022. Donc les conditions économiques sont totalement déplorables et le pays, dans son ensemble, vit une situation humanitaire sur le plan économique extrêmement compliquée, difficile et même sur le plan éducatif, voire même sur le plan de la santé, puisque 60 % des structures sanitaires ont été détruites. Et donc un vrai problème de prise en charge des populations. Donc, aujourd’hui, il n’y a aucune raison que les Syriens retournent dans leur pays.

Ce que vous êtes en fait en train de nous dire, et c’est très important, c’est que le retour à partir des pays voisins n’est pas possible. Et pourtant, on observe qu’un certain nombre d’Etats tendent à cette politique. Ça veut dire de nouveaux flux migratoires de Syriens vers l’Europe possiblement ?

Vous avez tout à fait raison de le dire, et en particulier après le tremblement de terre, beaucoup de Syriens, 3 000 000 et demi qui justement était dans la zone qui a été concerné par le tremblement de terre. Beaucoup ont perdu la vie d’ailleurs, que ce soit Lattaquié à Antalya ou dans Gaziantep, dans les pourtours, la population syrienne qui était installée depuis une dizaine d’années, bien évidemment, elle se sent en situation d’insécurité. Il y avait aussi une discrimination qui apparaissait ces derniers temps en Turquie, assez forte vis à vis de la population syrienne. Et donc c’est le risque de voir cette population qui est maintenant sans logement, qui se retrouve dans une situation difficile de la voir se mettre en route pour aller venir en Europe et retrouver éventuellement une sécurité et un avenir.

Vous avez publié en 2018 « Va où l’humanité te porte » aux éditions Taillandier. C’est un témoignage de votre action humanitaire. Comment peut-on aider votre ONG si cela intéresse les auditeurs de Beur FM ? 

Le tremblement de terre qui a impacté cette zone d’Idlib, qui était déjà dans une situation extrêmement difficile, il y avait auparavant deux corridors humanitaires. Il y en a plus qu’un qui persiste et qui est renouvelable tous les six mois. Nous avons obtenu l’ouverture d’un deuxième corridors humanitaires et cela pour trois mois. La situation maintenant avec le tremblement de terre était terriblement difficile, tant sur le plan sanitaire qu’elle l’est sur le plan de tous les jours, de la sécurité des personnes, de la dignité même des personnes, etc. Nous avons besoin d’argent. Nous avons besoin d’un soutien financier, pas d’un soutien matériel parce que nous pouvons acheter sur place, ça, c’est vraiment très important, c’est beaucoup plus facile pour nous d’acheter sur place en Turquie que d’expédier depuis la France. Donc le soutien sanitaire pour la reconstruction des maisons pour le soutien aux hôpitaux qui se retrouvent dans une situation extrêmement compliquée. Nous avons financièrement vraiment besoin d’argent. Pour cela, il suffit qu’ils aillent sur le site mehad.fr et font don de leur générosité.

Sur la Syrie

Pendant plusieurs siècles, la région de la Syrie et du Mont Liban est le centre administratif du califat Omeyyade, une des plus grandes dynasties de l’histoire de l’islam. En 1916, les accords de Sykes-Picot signés par la GB et la France découpent la région. La France hérite du “grand-liban”, qu’elle découpe elle-même en plusieurs administrations, dont la Syrie. En 1946 ,elle déclare son indépendance suivie de près par les administrations voisines. Nous sommes deux ans avant l’invasion de la Palestine par le futur Etat Hébreu et dans la foulée, la première guerre israelo-arabe. La Syrie, comme la majorité des pays arabes, est membre de la coalition en soutien à Yassar Arafat et aux Palestiniens lorsqu’ils s’exilent au Liban. 

La famille Al-Assad au pouvoir

Hafaz Al-Assad devient président en 1971. On se souvient de l’épisode de Hama, en 1982 qui réprime par les bombes la révolte des frères musulmans, 20 000 morts quand même. Hafaz s’éteint en 2000 et c’est Bachar, le fils benjamin, qui prend la relève. Il n’est pas destiné au pouvoir politique mais il s’inscrit dans le “livre noir” des Assad et prend vite le surnom de “boucher de damas”. 

Soulèvements populaires et répression en Syrie

Dès 2005, le soupçon d’assassinat du premier ministre libanais Rafiq Hariri est la première ombre au tableau du nouveau chef d’Etat. Les soulèvements pacifistes populaires de 2011 laissent place dès 2013 à un chaos général. Attaques chimiques, emprisonnements, tortures, bombardements : l’espoir d’un pays reconstruit en paix s’éloigne peu à peu. 

En 2023, le gouvernement a repris le contrôle des trois quarts du pays sauf dans la région d’Idlib, fief de l’opposition. Djihadistes, kurdes ou encore milices indépendantes, les opposants au régime de Bachar résistent. Les presque 400 mille morts civiles depuis 2011 représentent l’un des bilans humains les plus catastrophiques de notre époque.

En 12 ans de guerre, l’économie syrienne ne tient plus: 90% des syriens sont pauvres, la moitié des hôpitaux du pays ont été bombardés et l’hyperinflation atteint 140% en 2022. Le bilan humain depuis 12 ans est monstrueux : 22 millions de syriens déplacés ; dont 6 millions réfugiés dans les pays voisins ; 12 millions souffrant de malnutrition.

 

Diffusion samedi 11 mars 2023 à 8h20, rediffusion le dimanche à la même heure. La fréquence francilienne de Beur FM est 106.7.  Si vous souhaitez écouter l’émission depuis une autre région française, vous trouverez toutes les fréquences en suivant ce lien.