Les services d’accueil ou d’aide aux migrants sont menacés par la crise sanitaire alors même que ceux-ci présentent des vulnérabilités importantes.
Article par Julia Pascal publié sur le site du monde le 17 03 2020
« En gros, tout est fermé. » Quand elle passe en revue la liste des structures d’aide aux migrants à Marseille, Tanina Ouadi, de Médecins du monde (MDM), n’en trouve pas qui survivent encore aux mesures de distanciation sociale et désormais de confinement prises pour lutter contre l’épidémie due au Covid-19. Telle permanence juridique ? Fermée. Tel accueil de jour ? Fermé. Telle consultation psychologique ? Fermée… « Ce qui m’inquiète le plus, ce sont les distributions alimentaires, dit-elle. Si les personnes solidaires ne peuvent plus les assurer, ça risque de dégénérer. » De l’autre côté de la France, à Grande-Synthe (Nord), Claire Millot, de l’association d’aide aux migrants Salam, partage la même angoisse. « Les bénévoles se font porter pâle. Aujourd’hui [lundi 16 mars], on a encore réussi à assurer la distribution de repas, mais, demain, je ne sais pas comment on va faire, confie-t-elle. Il y a 400 personnes qui vivent à la Linière [des hangars abandonnés], on ne sait pas comment ils vont manger. »
Une vingtaine d’associations qui interviennent à Calais et Grande-Synthe ont adressé lundi une lettre ouverte aux pouvoirs publics et aux maires des deux villes pour les enjoindre de prendre « des mesures à la hauteur de la crise sanitaire » pour les « personnes exilées » présentes sur le littoral et qui s’entassent dans des tentes sans bien souvent disposer du minimum d’hygiène. « On demande des douches mobiles et une mise à l’abri », martèle Claire Millot.
A Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) – où s’est déporté un campement de migrants après les derniers démantèlements à Paris début 2020 –, « environ 500 personnes vivent sur un terrain vague particulièrement insalubre, sans point d’eau ni de toilettes, alors qu’on dit aux gens de ne pas se regrouper et de se laver les mains », alerte Louis Barda, de MDM. Si aucun cas de Covid-19 n’a été identifié parmi cette population, la promiscuité et l’absence d’hygiène constituent un facteur de risque. « Aujourd’hui, quarante personnes étaient présentes à notre clinique mobile pour qu’on leur prenne la température, rapportait lundi Louis Barda. On voit l’inquiétude qui monte. Il faut une évacuation rapide. »
Inquiétudes à propos des centres de rétention administrative
A Lyon, Rennes, Marseille, Toulouse… les situations à risque sont aussi nombreuses que la vie dans des espaces insalubres est répandue, dans des squats notamment. « L’agence régionale de santé évoque des « lieux de déferrement » pour extraire les gens des endroits de promiscuité, rapporte Tanina Ouadi, à Marseille, où 200 personnes migrantes occupent depuis des mois un bâtiment du diocèse. Mais on ne sait pas exactement ce que les pouvoirs publics vont mettre en place. »
La situation des centres de rétention administrative (CRA) – dans lesquels transitent quelque 45 000 étrangers en situation irrégulière chaque année – est, elle aussi, source de vives inquiétudes. La Cimade, qui intervient à l’intérieur de ces établissements, n’a pas connaissance de cas avéré de Covid-19, mais elle exige la fermeture des CRA depuis vendredi. « Les conditions sanitaires ne sont pas suffisantes, expose David Rohi, chargé des questions de rétention à la Cimade. D’autant qu’il y a des personnes vulnérables, atteintes du VIH ou d’hépatite B, qui, en cas d’infection, peuvent subir des conséquences très graves. Et puis, les expulsions sont impossibles dans de plus en plus de pays. » Dans une ordonnance du 15 mars, un juge de la liberté et de la détention parisien – confirmée le 16 mars par la cour d’appel de Paris – a d’ailleurs ordonné la libération d’un Ivoirien en raison, notamment, de la fermeture progressive des frontières et de l’absence de « gestes barrières » suffisants pour empêcher la propagation du virus dans le CRA.
Outres les risques encourus par les personnes migrantes, ceux qui pèsent sur les personnels intervenants impactent les services. Lundi, la Cimade a commencé à retirer ses équipes des CRA. « C’est ce que font la plupart des associations. On a réalisé le niveau de danger de la situation », justifie David Rohi.
Rupture de service public ?
Les services publics destinés aux étrangers sont eux aussi menacés. Lundi, le ministère de l’intérieur a suspendu « jusqu’à nouvel ordre » l’accueil des demandeurs de titres de séjour dans les préfectures, tout en prolongeant de trois mois la durée de validité des documents de séjour (titres, récépissés…). Certaines opérations relatives à l’asile – jugées indispensables – doivent en théorie continuer d’être assurées. Mais la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a suspendu lundi ses audiences « jusqu’à nouvel ordre » et les missions de relocalisation ou de réinstallation de réfugiés depuis l’étranger ont aussi été ajournées.
« C’est très difficile de maintenir une présence sur le terrain »
Lundi, à Paris, l’association France terre d’asile (FTDA) n’a pas réussi à organiser une maraude pour se rendre dans les campements de migrants. Vendredi, un « droit de retrait général » a aussi été exercé dans les locaux qui regroupent la Plate-forme d’accueil des demandeurs d’asile, gérée par FTDA, et le guichet unique du demandeur d’asile, qui regroupe les services de la préfecture et de l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII). « C’est très difficile de maintenir une présence sur le terrain, confie Pierre Henry, le directeur de FTDA. Des salariés s’occupent de leurs enfants, d’autres sont malades et il y a une panique générale, mais il faut remobiliser les gens pour que les plus précaires ne souffrent pas d’une rupture de service. »
Dans un mail du 13 mars adressé à de nombreuses structures d’accueil et d’hébergement des demandeurs d’asile – et que Le Monde a consulté –, le directeur de l’OFII, Didier Leschi, a d’ailleurs dû rappeler qu’en dehors des clusters l’orientation des demandeurs d’asile vers des lieux d’hébergement demeure une « priorité absolue ». « Le refus de l’accueil par principe ne sera pas pris en considération », souligne-t-il. Pourtant, lundi, un centre géré par l’association Coallia, dans les Hauts-de-Seine, refusait d’accueillir une femme et ses deux enfants, faisant valoir une suspension des admissions « jusqu’à nouvel ordre ». Idem, mardi, de la part d’un centre en Vendée géré par l’association Areams… « On est dans une situation très problématique, reconnaît Didier Leschi. Un public vulnérable va subir doublement la crise sanitaire du fait de la crainte qu’il inspire chez ceux censés les accueillir. »