Cinq personnes devant la justice pour avoir appelé à la haine contre « les Chinois » sur Twitter

Nous sommes le 28 octobre 2020. Emmanuel Macron vient d’annoncer le deuxième confinement du pays. Sur Twitter, des messages  se propagent, appelant à la haine contre « les Chinois ». Entendre, pour certains, l’ensemble de la communauté asiatique de France. Cinq prévenus devront répondre de leurs propos en ligne, le 24 mars, devant la 17e chambre du tribunal judiciaire de Paris. 

Article par Lucie Soullier publié sur le site lemonde.fr, le 16 03 2021

Lorsque l’officier lui demande pourquoi il a publié un tel message sur Twitter, Arnaud K. explique avoir voulu « charrier un ami asiatique ». Mais il n’a rien, « absolument rien contre les Chinois ». Toute cette histoire n’est qu’une « maladresse ». D’ailleurs, il a supprimé son tweet dès qu’il a vu qu’il provoquait autant de commentaires. Et puis, d’habitude, personne ne voit ce qu’il publie sur ce compte anonyme à 200 abonnés. Le tweet en question tenait en quelques mots : « Nique la mère à tous les Chinois. »

Arnaud K. a 20 ans. Il est étudiant en droit, en deuxième année à la Sorbonne, et vit chez ses parents, avec sa petite sœur. Ce qu’il voudrait faire dans la vie ? Commissaire de police ou juge d’instruction. Il est aujourd’hui poursuivi pour « injures publiques envers un groupe de personnes à raison de son origine ».

Après l’annonce du deuxième confinement, sur Twitter, des messages comme celui d’Arnaud K. se propagent, appelant à la haine contre « les Chinois ». Entendre, pour certains, l’ensemble de la communauté asiatique de France.

Regrets et inconscience
Grâce aux réquisitions faites auprès de Twitter et des opérateurs téléphoniques, entre autres, les investigations ont permis de lever l’anonymat de plusieurs de ces comptes. Parmi eux, cinq prévenus majeurs, dont Arnaud K., comparaîtront le 24 mars devant la 17e chambre du tribunal judiciaire de Paris. Trois sont poursuivis pour « provocation publique non suivie d’effet en appelant directement à commettre des infractions d’atteinte volontaire à l’intégrité de la personne » ; deux pour « injures publiques envers un groupe de personnes à raison de son origine ».

Tous les cinq sont étudiants, ont entre 19 et 25 ans et des comptes Twitter anonymes comptant de 30 à 60 000 abonnés. Tous sont inconnus de la justice. Entre regrets et inconscience, quatre d’entre eux ont raconté aux enquêteurs ce qui les avait poussés à écrire de tels messages sur Twitter. Le cinquième nie en être l’auteur.

Ce dernier, en quatrième année d’ingénierie à Lyon, Imad R., 25 ans, explique ainsi lors de sa garde à vue partager son compte Twitter avec un certain « Zak » vivant aux Etats-Unis, qui a « un peu le même humour ». Un compte à 60 000 abonnés, qu’Imad R. a créé et qui a diffusé ce message, le 28 octobre : « Les élèves demain au lycée attrapez tout les gens qui font LV2/LV3 Chinois et ta-bass-ez les. » Réalise-t-il la gravité de ce message ? Oui, puisqu’il l’a supprimé dès qu’il l’a vu, affirme-t-il. Il a même dit à ce Zak que « c’était pas intelligent de faire ça et que c’était illégal ». Mais tout de même, lui, « quand [il lit] le tweet, [il voit] le caractère humoristique ». Les enquêteurs ont retrouvé des échanges vocaux entre Imad R. et Zak sur la messagerie Whatsapp, dans lesquels ils oscillent entre la crainte d’être retrouvés et la minimisation de ce qui pourrait leur arriver.

Dylan B., lui, assume en grande partie lorsque les enquêteurs finissent par le retrouver derrière le compte @Taciturne_. A 19 ans, il étudie le commerce international dans une école privée parisienne. A-t-il écrit et publié le message « Mettez moi dans une cage avec un chinois, je veux m’amusez avec lui, le brisez. Je veux voir toute lueur d’espoir dans ses yeux s’éteindre devant moi » ? Oui, répond-t-il. Et celui-ci : « Si vous êtes triste dites vous que y’a pire dans la vie, vous auriez pu être chinois » ? Oui, c’est lui aussi. En revanche, il jure n’avoir rien à voir avec le troisième message proclamant qu’ « Hitler aurait du tuer les chinois pas les juifs », publié sur le même compte, le même jour. Son compte a été créé pour lui par une amie, car lui ne pouvait plus : il avait déjà été banni « définitivement » par Twitter pour ce qu’il nomme pudiquement « des propos inappropriés ».

« J’ai fait un amalgame »
Ziad B., lui, était suivi par près de 500 personnes lorsqu’il a retweeté un autre message, le 28 octobre – « j’appelle tout mes renois et tout mes rebeus du 91,92,93,94,95 à agresser chaque chinois qu’ils croiseront dans la rue » – en y ajoutant un commentaire personnel : « Je dirais même les 95 départements de France + les Dom-Tom. » Ce 28 octobre, il cherchait « un moyen d’évacuer sa colère et sa frustration » après l’annonce du reconfinement. Quel rapport avec la communauté chinoise ? « J’ai fait un amalgame », lâche l’étudiant de 20 ans en deuxième année à Sciences Po Menton (Alpes-Maritimes) tout en se défendant : lui avait pris ce message « d’un point de vue humoristique » avant de comprendre son « erreur » et de supprimer son tweet.

Même inconscience pour Alexis D., 21 ans, cinquième et dernier prévenu. Etudiant en école d’ingénieur à Cergy (Val-d’Oise), il est l’auteur d’un tweet appelant à « rayer de la carte » la Chine. Pourquoi a-t-il donc publié un tel message de haine contre « les Chinois »? Alexis D. explique avoir simplement vu d’autres personnes faire de même. « Je ne pensais même pas que c’était possible qu’on en vienne carrément à agresser des gens réellement. C’était totalement inimaginable », se défend-t-il.

Plusieurs associations de lutte contre les discriminations, notamment l’association des jeunes Chinois de France, le comité des associations chinoises du 93, la Ligue des droits de l’homme, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) et SOS Racisme, se sont portées partie civile au procès. « Il n’est plus rare, désormais, qu’il y ait des poursuites contre des propos en ligne, réagit Arié Alimi, avocat de la Ligue des droits de l’homme. Mais le volume des propos haineux, racistes, sexistes et homophobes est tel sur Internet qu’ils peuvent se croire protégés. Il ne faut pas lâcher et combattre toutes les formes de racisme, même en ligne, y compris dans les tribunaux. »