Aziz et Saeeda, un couple de vingtenaires, ont quitté l’Afghanistan l’été dernier, au moment où les fondamentalistes religieux reprenaient le pouvoir. Journaliste dans son pays natal, le jeune homme était menacé de mort. Nous les avons rencontrés à Épernay.
article par Simon Ksiazenicki publié sur le site lhebdoduvebdredi.com le 2 12 2021
Depuis cet été, la France a accueilli plus de 3 000 Afghans qui fuyaient le retour des talibans au pouvoir. Aziz Neekyar et Saeeda Mirzaei sont de ceux-là. Accueilli à Épernay en septembre, le jeune couple prend peu à peu ses marques, après plusieurs mois d’angoisse et de stress, à mesure que les fondamentalistes islamistes reprenaient le contrôle du pays. « On a vécu plusieurs jours éprouvants, mais nous avons reçu un accueil très chaleureux en France », explique Saeeda, dans un anglais précis. « On a tout laissé en Afghanistan, nos familles, nos amis, nos affaires… On est parti avec seulement deux sacs à dos, explique Aziz. Notre vie s’est arrêtée là-bas. Maintenant, on essaye de reprendre à zéro, de tout réapprendre. » Pourtant, il y a moins d’un an, les deux jeunes gens étaient parfaitement intégrés et épanouis dans leur pays d’origine.
Saeeda travaillait pour la Croix-Rouge, tandis qu’Aziz était journaliste. Pigiste indépendant pour plusieurs médias afghans, il était également directeur d’antenne de Radio Nowruz. Sa spécialité en faisait une cible toute désignée : « Je travaillais principalement sur deux dossiers : la corruption dans le gouvernement afghan et les groupes terroristes que sont les talibans et l’État islamique, explique le journaliste de 26 ans. C’était difficile, mais au départ, je ne me sentais pas menacé. Et puis, à mesure que les talibans ont fait reculer le gouvernement, j’avais de plus en plus peur d’être assassiné. Les talibans ne croient pas en la liberté d’expression et de la presse. »
Chassé du pouvoir en 2001, le groupe armé s’était alors engagé dans une guérilla contre la coalition internationale et le nouveau gouvernement afghan, qui n’a jamais réussi à imposer son contrôle sur le pays. La signature de l’accord de Doha, en février dernier, dans lequel les Étasuniens s’étaient engagés à se retirer d’Afghanistan, a sonné le glas de l’intervention occidentale, mais en réalité, les talibans n’avaient jamais vraiment disparu du paysage. Le 12 novembre 2020, Elyas Dayee, un journaliste radio bien connu sur le terrain, était tué dans l’explosion de son véhicule, sous lequel avait été placé un engin explosif. Dans les mois qui ont suivi, d’autres reporters ont trouvé la mort, victimes d’une campagne d’assassinats ciblés, menée par les talibans et Daech. « Je viens d’Helmand, le berceau des talibans, explique le reporter. Je suis donc mieux renseigné sur eux que la plupart des journalistes. Lors des six derniers mois, la menace est devenue réelle. » Et pour cause.
Aziz apprit par le club de la presse qu’il figurait, comme 20 confrères, sur une liste d’indésirables. « Quand les talibans étaient aux portes des grandes villes, le Comité pour la protection des journalistes afghans nous a conseillé de nous cacher pendant quelque temps, mais ça ne m’a pas arrêté. J’ai rejoint Kaboul un jour avant la chute d’Hérat. Si j’étais resté là-bas, je suis persuadé que je ne serais pas ici pour le raconter aujourd’hui. » Sa femme le rejoignit une semaine plus tard, après un périple de 23 heures. « À Hérat, quand les combats ont éclaté autour de la ville, tout le monde a commencé à fermer ses volets, à se cacher, à courir dans tous les sens. C’était très difficile à vivre, raconte Saeeda. Je me suis couverte de la tête aux pieds et avec une amie, j’ai loué les services d’un taxi privé. La route était pleine de points de contrôle talibans, mais je n’avais pas le choix, je n’avais qu’un jour pour rejoindre Kaboul par la route. »
Après une escale à Abu Dhabi (Émirats arabes unis), ils atteignirent finalement Paris et apprirent que deux jours plus tôt, un attentant-suicide avait eu lieu à l’aéroport de Kaboul. « À l’endroit même où nous avions passé la nuit », se remémore Saeeda. Après trois semaines dans la capitale, le couple fut redirigé vers Épernay, à la mi-septembre. « Quand j’ai appris que c’était la capitale du champagne, j’étais très heureux ! J’avais vu cette série américaine, « Emily in Paris », dans laquelle l’héroïne se rend à Épernay. C’était donc un peu familier pour moi », plaisante Aziz.
En France, Aziz et Saeeda ont obtenu un petit appartement, la qualité de réfugiés et l’autorisation de rester sur le territoire pendant 10 ans. Les deux Afghans occupent désormais leurs journées entre les médiathèques d’Épernay, le Club de prévention qui les aide dans leurs démarches et leur intégration, et des balades dans la capitale du champagne. « Les gens sont tous très gentils avec nous », se réjouit la jeune femme. « Je suis impressionné par la culture française. Nous avons aussi beaucoup de raisins à Hérat, mais nous n’en faisons pas du champagne ! », s’amuse le jeune homme. Leur tête est à Épernay, mais leur cœur est resté en Afghanistan. « Mon frère se cache et ne sort plus de chez lui, car les talibans sont à sa recherche. Ma nièce ne peut plus aller à l’école », se désole Saeeda. « On a toujours voulu venir en France pour lire Victor Hugo, admirer l’architecture française, marcher sur les Champs-Élysées… Mais j’aurais aimé venir ici en tant que touriste, pas comme quelqu’un qui a fui son pays », regrette Aziz qui l’assure : « Quand j’aurais la certitude que les Talibans sont chassés d’Afghanistan, je suis persuadé que j’y retournerais. »