Camélia Kheiredine, journaliste avec « un accent de banlieue »

Originaire de Villiers-sur-Marne (94), Camélia Kheiredine se fixe pour ligne de conduite de donner la parole à celles et ceux qui sont constamment stigmatisés. À 28 ans, la journaliste de FranceTV Slash a une carrière déjà bien remplie et fait la fierté des siens. Portrait.
Article par Ayoub Simour publié sur le site bondyblog.fr le 16 03 2023
Elle s’en souvient comme si c’était hier. L’un de ses premiers faits d’armes en tant que journaliste. Le 14 avril 2021, Camélia est au tribunal correctionnel de Paris pour assister au procès d’Ademo, rappeur du groupe PNL. Elle rend-compte sur Twitter de tout ce qui se passe pendant l’audience. Dans le jargon, on appelle ça un live-tweet. « Wesh », « mdr », « en sah »… Le sien n’avait rien de formel. Mais au moins, il était authentique.

Ce moment charnière dans sa jeune carrière lui a donné une certaine visibilité sur Twitter. « J’ai pris des milliers d’abonnés du jour au lendemain, alors que je n’étais suivie par presque personne, s’amuse-t-elle. Ce qui me touche, c’est que les gens qui me suivent et apprécient mon travail journalistique ont tendance à avoir une certaine défiance envers le monde médiatique. Et c’est avant tout pour ceux qui se sentent stigmatisés dans les médias que je fais ce métier. »

Moi, la petite meuf qui sort du 9-4, je ne me voyais pas journaliste

Aujourd’hui, elle s’éclate dans son quotidien de journaliste à FranceTV Slash. Pourtant, elle a mis du temps à affirmer son envie d’exercer un jour ce métier. Autocensure, syndrome de l’imposteur, sentiment d’illégitimité… Du fait de ses origines sociales, Camélia craignait que son parcours soit semé d’embuches : « Moi, la petite meuf qui sort du 9-4, je ne me voyais pas journaliste. Quand on n’a pas de contacts, qu’on ne sait pas comment fonctionne le milieu, on sait qu’on va galérer », constate-t-elle.

La meuf qui sort du 9-4
Camélia et son département, c’est une longue histoire. Originaire de Villiers-sur-Marne, elle y effectue sa scolarité jusqu’au collège, avant d’être affectée à Champigny-sur-Marne, au lycée Langevin Wallon. « Quand j’ai su que j’allais y être scolarisée, je me suis dit que mon avenir était foutu parce que c’était un établissement très mal réputé. Paradoxalement, j’y ai passé les meilleures années de ma vie. »

Ce qui l’a le plus marquée ? La sociologie, qui lui « a fait prendre conscience des injustices sociales ». À cette période, elle commence à réfléchir à son avenir, mais les cours sur la mobilité sociale la traumatisent. « Quand on est issus de milieux modestes et qu’on assiste à ce cours, on comprend qu’on va devoir se battre », affirme-t-elle.

En terminale, Camélia envisage d’intégrer une école de commerce, sans savoir ce que cela implique financièrement. Elle réussit un concours, puis reçoit un courrier d’admission lui demandant de payer une somme à quatre chiffres. « Ça m’a fait un électrochoc. Ma maman m’a dit que pour m’aider à financer l’école, elle était prête à vendre les bijoux de sa mère décédée… J’en ai pleuré, puis je lui ai promis qu’elle n’aurait jamais à mettre un centime dans mes études », raconte Camélia, qui travaille de son entrée dans le supérieur à la fin de ses études 16 heures par semaine à Disneyland. La jeune bachelière change finalement de voie et se retrouve à l’Université de Saint-Denis – aka Paris 8.

De Paris 8 au Festival de Cannes
Fini le 9-4, la Villiéraine étudie désormais dans le 9-3. Elle se tape chaque jour près de trois heures dans les transports, mais cela ne la décourage pas. Elle suit assidument les cours de sa licence d’information-communication. « J’apprenais des trucs hyper intéressants donc ça ne me dérangeait pas de passer autant de temps dans les transports. Et puis quand on habite en banlieue, on finit par s’habituer aux longs trajets, on n’a pas le choix ».

Pendant ses études, elle profite également de la vie de campus pour s’épanouir en-dehors du temps scolaire. En L2, alors qu’une camarade lui fait remarquer qu’elle a un « accent de banlieue », Camélia décide de s’inscrire au concours d’éloquence de sa fac. « Quand quelqu’un te dit que ta manière de t’exprimer n’est pas « normale », alors que toi t’as grandi comme ça et que tout ton entourage parle de cette manière, ça détruit, s’émeut-elle. Ça a été un déclic et je m’y suis inscrite pour lui prouver que je pouvais faire de belles choses, même avec ce soi-disant « accent de banlieue ». »

Coup de hasard. L’année où Camélia participe au concours d’éloquence de Paris 8, un documentaire – À voix haute – est réalisé sur celui-ci. Tout au long de la préparation au concours, des caméras sont braquées sur elle et ses camarades : une « opportunité de fou », reconnait-elle. La jeune Villiéraine se retrouve sur grand écran et finit même par gravir les fameuses marches du Festival de Cannes. « C’était un moment mémorable, j’étais limite devenue la petite starlette du 9-4 », s’amuse-t-elle.

Je me suis dit qu’au lieu de laisser des gens parler de nous, j’allais m’en occuper

Une fois la parenthèse À voix haute fermée, il faut désormais se remettre sur les rails. Mais Camélia ne sait pas encore ce qu’elle veut faire de sa vie. Elle hésite entre différents horizons professionnels, mais un livre lui sert de boussole : Les médias & la banlieue, de Julie Sedel (2009). « Couvrir l’actualité de la banlieue, c’est un peu la tâche ingrate que personne ne veut faire. Ce n’est pas « prestigieux » donc les journalistes se renvoient la balle, ou alors ils envoient le ou la stagiaire. Donc, je me suis dit qu’au lieu de laisser des gens parler de nous à contrecœur, j’allais m’en occuper ».

Donner la parole à celles et ceux qu’on n’entend pas
Une fois son master d’industries audiovisuelles en poche, Camélia entre en 2019 en école de journalisme – le CFPJ. Le jour de la rentrée, un enseignant fait tout un speech sur les difficultés du métier, en prenant soin de prévenir les étudiants qu’il « va falloir se préparer à aller en banlieue » pendant leur carrière. « Ça ne m’a vraiment pas plu, raconte la jeune banlieusarde en fronçant les sourcils, donc à la fin du cours, je suis allée le recadrer ».

Ses études en journalisme, elle les fait en alternance à FranceTV Slash. Un nouveau média, affilié à France Télévisions, qui s’est créé pour toucher une cible bien précise : les 15-30 ans. Et qui d’autre qu’une jeune pour parler aux jeunes ? Pleine d’enthousiasme et de détermination, Camélia intègre la nouvelle rédaction. « C’était un tout nouveau média donc j’avais plein de libertés. Un mois après mon arrivée, j’ai eu l’idée de lancer une émission qui donnerait la parole aux personnes victimes de stéréotypes en tout genre », raconte-t-elle.

Et c’est ainsi que naît l’émission « Étiquette », qui cumule aujourd’hui des millions de vues sur YouTube. Le concept est simple : « On invite un groupe social pour parler entre eux des clichés qui les concernent ». Les femmes voilées, les enfants d’immigrés, les Asiatiques, les Rroms, les schizophrènes, les surdoués… Dans la cinquantaine d’émissions réalisées, Camélia et son équipe sont restées fidèles à leur ligne de conduite : tendre le micro aux personnes marginalisées. « Le gros défi, c’est que les personnes qu’on invite sont souvent stigmatisées dans les médias, donc il y a tout un travail à faire en amont du tournage pour les rassurer et les mettre à l’aise ».

Le plus important, à mes yeux, c’est d’avoir la validation de ceux qui me ressemblent

Récemment, Camélia a décidé de mettre fin à cette émission pour éviter « d’épuiser le concept ». La jeune journaliste travaille sur d’autres émissions, tout en restant fidèle à sa ligne conduite, comme « Ça Rec » : elle sillonne la France entière pour aller à la rencontre « des différentes jeunesses françaises » et ainsi arrêter de surmédiatiser la jeunesse parisienne.

La journaliste de 28 ans continue son petit bout de chemin en faisant la fierté des siens. Ses amis la soutiennent, sa mère regarde toutes ses émissions, son grand-frère – qu’elle définit comme son « plus grand fan » – lui fait constamment des retours sur ses reportages. « Je sais qu’il y a des gens dans ce milieu qui n’apprécient pas trop mon travail et mon naturel sur Twitter, mais moi je m’en fous. Il va falloir qu’ils s’y fassent parce que je ne compte pas changer pour leur faire plaisir. Le plus important, à mes yeux, c’est d’avoir la validation de ceux qui me ressemblent ». Mission réussie pour la « petite meuf qui sort du 9-4 ».

Ayoub Simour