Au procès du groupuscule OAS, la tentation terroriste de l’ultradroite

La comparution, mardi, au tribunal correctionnel de Paris, de six membres de l’Organisation des armées sociales (OAS) , démantelée en 2017, met en lumière la montée en puissance d’une droite extrême prête à franchir le pas de la violence.
article par Christophe Ayad publié sur le site lemonde.fr le 21 09 2021
OAS. Le sigle sort d’un autre âge, les idées, elles, sont bien actuelles. Six jeunes membres du groupuscule Organisation des armées sociales, évidemment inspiré de son historique aînée de la guerre d’Algérie, l’Organisation de l’armée secrète, ont comparu, mardi 21 septembre, devant le tribunal correctionnel de Paris pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle » et aussi, pour deux d’entre eux, pour « apologie du terrorisme » et « vol » d’un véhicule. Trois autres membres du groupe, mineurs au moment des faits, sont jugés séparément.
Selon l’accusation, le groupuscule, démantelé en deux temps, en juin puis en octobre 2017, entendait « préparer physiquement, psychologiquement et matériellement des combattants (…) dans les perspectives d’une guerre raciale imminente ».

Enclencher une « remigration »
Le but des jeunes hommes était d’enclencher une « remigration » en usant de la terreur envers les musulmans, les Arabes et les Africains, en attaquant des restaurants, des lieux de culte, mosquées ou synagogues, et le marché aux puces de Marseille. Migrants et dealeurs étaient aussi visés. Tout comme des personnalités politiques : Christophe Castaner, alors porte-parole du gouvernement, et Jean-Luc Mélenchon, leader de La France insoumise (LFI).

Le procès de cette néo-OAS était d’autant plus attendu qu’il est le premier à illustrer la montée en puissance d’une ultradroite désireuse d’en découdre et prête à franchir le pas de la violence. En plus de l’affaire jugée cette semaine à Paris, cinq autres dossiers sont en cours d’instruction au Parquet national antiterroriste.

Les prévenus, qui encourent jusqu’à dix ans de prison, sont tous jeunes, blancs et pauvres. Cinq comparaissent libres. Seul le chef autoproclamé et fondateur de l’OAS, Logan Nisin, est encore en détention provisoire. Depuis quatre ans et près de trois mois, toutes ses demandes de remise en liberté ont été rejetées en raison de son – déjà long – parcours au sein de la droite extrême : il a eu des sympathies néonazies à 13 ans, puis a milité aux Jeunesses nationalistes à 16 ans, qu’il quitte pour le Mouvement populaire pour une nouvelle aurore, inspiré d’Aube dorée (parti néonazi) en Grèce, avant de rejoindre l’Action française « parce que c’était le groupe le plus fort à l’échelle des Bouches-du-Rhône », et parallèlement de participer à la fondation de France Village (« une expérience d’écovillage nationaliste »), puis à la campagne de Marine Le Pen.

extraits de l’article du Monde publié 17 octobre 2017  après l’arrestation des membres du groupuscule :  « Logan avait commencé à stocker des armes au domicile de sa mère, discrète contractuelle territoriale employée dans l’aide à la personne. Depuis décembre 2016, il était le fier détenteur d’un fusil à pompe Baikal calibre 12 avec lequel il s’était mis en scène, une fois, en treillis militaire, sur sa page Facebook consacrée à Anders Breivik. Une arme achetée en toute légalité, et déclarée.En avril, il y avait ajouté deux revolvers à poudre de collection, pour lesquels il avait poussé les recherches sur Internet afin d’en modifier les barillets et les remplacer par de vraies munitions. Des armes qu’il envisageait de donner à d’éventuels futurs complices. »

Agé de 21 ans au moment de son arrestation, Logan Nisin était déjà fiché « S ». Déçu par des organisations où l’on parle beaucoup sans faire grand-chose, il a décidé de fonder la sienne après les attentats du 13 novembre 2015 – « le déclencheur », dit-il.

Dans le box en verre, il fait aujourd’hui son âge : 25 ans, un peu chétif dans sa chemise bleu clair, des lunettes et une coupe de cheveux sage, pas trop courte. A l’aise à l’oral, voire prolixe, Logan Nisin a laissé entrevoir sa stratégie de défense : assumer son engagement passé, minimiser les faits reprochés et, surtout, expliquer avoir changé au contact d’un détenu arabe lors de son incarcération.

« On recrute des chasseurs d’Arabes »
Le jeune homme peut se montrer aussi inquiétant que puéril. Inquiétant, l’administrateur de la page Facebook des « admirateurs d’Anders Behring Breivik », le terroriste norvégien auteur d’un attentat à la bombe à Oslo et de la tuerie d’Utoya (77 morts, 151 blessés) le 22 juillet 2011. Inquiétant, le concepteur des statuts de l’Organisation des armées sociales, divisée en cellules étanches pour éviter toute infiltration et dirigée par un chef inconnu de tous, « le Régent », en fait lui-même, bien conscient de son « problème de charisme ». Inquiétants, les deux tracts de recrutement qu’il a rédigés : « Rebeus, blacks, dealers, migrants, racailles, djihadistes, si toi aussi tu rêves de tous les tuer, nous en avons fait le vœu, rejoins-nous ! », dit le premier. Le second montre des silhouettes armées sur fond bleu-blanc-rouge et un appel : « On recrute des chasseurs d’Arabes. »

Puéril, le garçon qui explique que la source de sa détestation des Arabes est le « harcèlement scolaire » dont il a fait l’objet en raison de ses tics faciaux. Puéril, l’apprenti terroriste qui déclare qu’« avoir vu Nuit et brouillard [d’Alain Resnais] à 16 ans [lui] a fait changer de point de vue sur le nazisme », alors qu’il fonde quelques années plus tard une section Cigale – terme adopté dans la fachosphère pour camoufler le salut nazi « Sieg Heil ». Parfois, à force de parler, il échappe à Logan Nisin de drôles d’expressions. Il voit ainsi dans le mouvement indépendantiste algérien, le FLN, « une organisation djihadiste ».

A l’inverse, ses coaccusés, âgés de 23 à 33 ans, ont tous défilé à la barre, cheveux ras et verbe rare, pour minimiser leur rôle ou leur adhésion au projet. L’un reconnaît avoir « tenu des propos homophobes alors que je suis homosexuel » mais se dit « maintenant éloigné de toute pensée d’extrême droite ». Un autre « ne serait jamais passé à l’acte ». Le troisième « reconnaît des idées de droite mais ne se voit pas comme un terroriste ». Le quatrième a « refusé d’adhérer » au groupuscule et n’a prêté son nom que pour des raisons administratives. Le dernier ne connaissait pas les autres : il voulait adhérer au groupe « en cas d’ennui avec les Arabes » de son quartier.

Jean-Luc Mélenchon veut se constituer partie civile
La présence de Jean-Luc Mélenchon dans le dossier attise la curiosité et une publicité dont les prévenus se seraient bien passés. Le candidat à la présidentielle de 2022 a demandé, par le truchement de son avocate, Me Jade Dousselin, à se constituer partie civile, contrairement à Christophe Castaner, qui s’était désisté au moment où il était devenu ministre de l’intérieur, à l’automne 2018.

Admis comme partie civile par les juges d’instruction, M. Mélenchon a été déchu de cette qualité par la chambre de l’instruction, en janvier 2019, sans qu’il se pourvoie en appel. Il est revenu à la charge au début du procès, au grand dam des avocats de la défense, occasionnant un débat juridique aussi dense que pointu. « Comment ne pas considérer qu’un groupe aussi armé, aussi organisé, qui cible une personnalité pour ce qu’elle représente et ce qu’elle est, comment ne pas considérer que cela change sa vie publique, sa vie personnelle ? », a argumenté son avocate.

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Les avocats de la défense ont demandé au président du tribunal de rejeter cette demande en soulignant que le projet visant le chef de LFI n’avait connu « aucune matérialité », ne reposait que sur une « auto-incrimination » de deux prévenus qui se sont rétractés et que cette requête s’apparentait à une recherche de « tribune politique ».

La procureure, Saliha Hand Ouali, a aussi demandé le rejet en rappelant que « l’action civile appartient à ceux qui ont personnellement souffert, directement ». « Si on admet la constitution de partie civile de M. Mélenchon, jusqu’où s’arrête-t-on ?, a-t-elle poursuivi. Est-ce que n’importe quelle personne de confession musulmane, juive, noire, peut venir à la barre et dire qu’elle a subi un préjudice ? »

Le juge rendra sa décision avec le délibéré, à la fin du procès. M. Mélenchon, lui, viendra témoigner, vendredi 24 septembre. Au lendemain de son débat télévisé avec le polémiste Eric Zemmour.

Christophe Ayad