#Archives : « Il faut enseigner l’arabe dans le service public »

Rouvrons le Capes d’arabe ! Ne laissons pas aux associations l’apprentissage de la « deuxième langue » de France.

tribune par  Joseph Dichy et Pierre-Louis Reymond, publiée sur le site lemonde.fr  le 11 02 2014

Vincent Peillon, ministre de l’éducation nationale, a affirmé à plusieurs reprises son intérêt et son soutien à l’enseignement de l’arabe dans le service public. En dépit de ce soutien et de la vision très juste qui est la sienne, le capes d’arabe est aujourd’hui fermé ! Face à l’enjeu historique qui est celui d’enseigner l’arabe en France, on ne peut faire aujourd’hui l’économie d’un débat public.

Cette décision vient une fois de plus confirmer l’abandon du terrain de l’enseignement de l’arabe par le service public laïc. Une absence aussi flagrante de politique concertée ne peut que renforcer la « sous-traitance » de fait de l’enseignement de l’arabe à un secteur associatif qui l’enferme dans une logique identitaire et communautaire.

Il en résulte une grave désorganisation de l’offre du service public : la demande existe bien, puisque presque 50 000 élèves suivent des enseignements d’arabe dans le primaire, avec des instituteurs algériens, marocains et tunisiens (dans le cadre des enseignements de langues et culture d’origine). Or ces élèves ne sont qu’un peu plus de 9 000 au collège et au lycée, dans le cadre normal de l’enseignement des langues. Les parents, de demandes rejetées en rebuffades, se détournent du service public laïc. On les comprend.

NE DETOURNONS PAS LES PARENTS DU SERVICE PUBLIC

Mais l’arabe est en outre une grande langue internationale et la langue d’une grande culture universelle : la France est le seul pays du monde occidental à l’enseigner à tous les niveaux, de l’école primaire à l’université et aux grandes écoles. La langue arabe est enseignée dans près de 25 universités. De 6 000 à 8 000 étudiants en font chaque année le choix en tant que matière principale.

Parmi ces derniers, un tiers environ est inscrit en langues étrangères appliquées, filière dont la visée est professionnelle. Les Instituts d’études politiques (Sciences-Po), Polytechnique, Centrale, les ENS (Ulm, Lyon, Cachan) et bien d’autres grandes écoles enseignent cette langue, avec, en plusieurs lieux, des diplômes ou des Masters spécialisés. Rappelons aussi que les classes préparatoires aux grandes écoles comptent en arabe plusieurs centaines d’élèves.

A l’enjeu sociétal lié à l’idéal de laïcité que nous venons de mentionner répond parallèlement un grand enjeu économique et commercial : le monde arabe est notre premier partenaire d’échanges économiques.

Avec les pays du Maghreb, des accords de coopération culturelle mettent en parallèle la francophonie – avec un enseignement du français dans les pays partenaires – et l’enseignement de l’arabe en France. En l’absence d’une politique de réciprocité, l’avenir de ces échanges culturels et linguistiques risque, tôt ou tard, de se trouver compromis, avec des conséquences économiques non négligeables.

Pourquoi les enseignements d’arabe en collège et lycée ne suivent-ils pas ? Pour répondre à cette question, il faut analyser les mécanismes aveugles qui conduisent à l’étrange absence de prise en compte des besoins que l’on observe.

A l’appui de la fermeture du capes, on nous rétorque que les besoins de professeurs d’arabe dans l’enseignement secondaire seraient satisfaits, voire que ces enseignants seraient en surnombre. On se demande bien alors pourquoi on en revient aujourd’hui à recruter des contractuels d’arabe, comme au temps des « maîtres-auxiliaires » !

Un exemple flagrant de la négligence structurelle qui conduit à cette situation est l’absence de prise en compte par la direction des ressources humaines du ministère de l’éducation des 60% de professeurs d’arabe demeurés « TZR » (titulaires sur zone de remplacement). Voilà un sigle à retenir : il correspond à des postes provisoires prévus pour les remplacements.

UNE SITUATION SCANDALEUSE

Alors que ce type de poste ne dépasse pas normalement 5% d’une discipline, l’arabe, avec sa proportion de 60%, fait figure de champion. Ces postes de remplaçants sont détournés de leur fonction pour pallier l’absence de créations de postes budgétaires en arabe par les Rectorats, depuis plus de 20 ans.

Pour comprendre cette situation dans ce qu’elle présente de particulièrement scandaleux, il faut savoir que ces professeurs d’arabe sont – pardon pour ce jargon technique – affectés sur des « blocs de moyens provisoires », c’est-à-dire qu’ils effectuent leur plein temps d’enseignement, et bien souvent plus, sur des heures fluctuantes aux yeux des gestionnaires.

Les professeurs certifiés ont beau faire un plein temps de 18 heures, seules quelques heures apparaissent dans le service officiel. Ils occupent des supports volatiles sur lesquels on ne peut pas installer de manière durable des postes de professeur – même quand ils sont effectivement là, année après année, avec des élèves et des enseignements cohérents.

Pour les chefs d’établissement des collèges et lycées, c’est tout bénéfice : les enseignements ont lieu hors de leur dotation budgétaire. Les remontées vers les rectorats, les académies et le ministère ne se font pas. Les établissements récupèrent des professeurs d’arabe qu’ils n’ont pas besoin de déclarer sur leur dotation : ils se nourrissent ainsi de TZR qui ne leur coûtent rien, sans en avoir fait clairement la demande, et sans afficher les besoins en langue arabe qu’ils peuvent pourtant constater chez eux au quotidien.

La boucle est bouclée : on peut ainsi croire ou prétendre qu’il n’y a pas de demandes, que les enseignements de l’arabe ne sont pas attractifs, voire que les professeurs de cette langue seraient sous-employés et en  »sous-service » dans une proportion importante. Cette dernière allégation est fausse. Sur le terrain, tous les enseignants d’arabe – au petit nombre habituel d’exceptions près – sont devant des élèves, souvent dans deux, voire trois établissements, et l’on est contraint, comme nous l’avons indiqué, de recruter des contractuels.

ENSEIGNER L’ARABE PARCE QUE LES BESOINS RESTENT CRIANTS

Parallèlement, au cours des trois dernières années, le nombre d’enseignants d’arabe est passé de 218 en 2010 2011 à 197 en 2012 2013 et à 187 aujourd’hui, en raison de la faiblesse des recrutements aux concours (2 postes à l’agrégation et fermeture du capes cette année), et des départs à la retraite d’enseignants très souvent TZR – dont le renouvellement n’est pas vraiment comptabilisé.

On a donc assisté à une baisse de 14,22 % en quatre ans. Les élèves, dans la même période sont passés de plus de 7 000 à plus de 9 000, ce qui correspond à une augmentation de 28 %. En même temps, les besoins restent criants : nous avons rappelé les quelques 50 000 élèves du primaire. Pourquoi ne les retrouve-t-on on pas au collège ?

Autre témoignage, tout aussi criant, de la non-réponse aux besoins effectifs : chaque année, près de 6 500 candidats au bac présentent l’arabe en tant que langue facultative. N’aurait-on pas pu leur offrir un enseignement ? Cela est à mettre en parallèle avec le fait que la grande masse des étudiants qui choisissent à l’université des licences d’arabe ne provient pas du secondaire.

Notons au passage qu’en privant les meilleurs d’entre eux de la préparation au capes du fait de la fermeture du concours, on détruit sans rémission les formations d’enseignants patiemment mises en place depuis deux décennies dans plusieurs universités – comme si le service public n’avait pas besoins de professeurs d’arabe bien formés.

En allemand, en chinois, on a bien, de manière tout à fait volontariste, trouvé ces toutes dernières années les moyens de créer des implantations et des postes budgétaires. Cela, en raison d’une politique ministérielle concertée.

Pourquoi l’arabe continue-t-il à faire exception ? Face à des besoins criants, et devant la situation de crise de l’éducation et de panne de l’ascenseur social où nous se trouve notre pays, un retrait de facto du service public ne serait pas acceptable. Il faut aujourd’hui de toute urgence une politique claire qui mette les rectorats devant leurs responsabilités, pour développer sans faux-fuyants l’offre d’enseignement d’une discipline qui constitue la deuxième « langue de France », et l’une de nos principales langues d’échanges économiques et culturels. En commençant par le rétablissement immédiat du capes et l’augmentation des postes à l’agrégation.