Dans cet entretien, Amin Zaoui revient sur son essai «La Boîte noire de l’islam», paru récemment aux éditions Tafat, dans lequel il aborde la question très actuelle du sacré. Dans ses textes, il défend des thèmes chers à son cœur, notamment la liberté et le vivre-ensemble.
interview publiée par le site reporter.dz le 11 06 2018
Reporters : Vous avez publié chez Tafat un nouveau recueil de chroniques intitulé «La Boîte noire de l’Islam» orienté vers les questions liées au sacré. Cela est-il en lien avec l’actualité de l’Algérie et du monde ou les raisons sont ailleurs ?
Amin Zaoui : Avant de le publier sous forme de chroniques, «La boîte noire de l’Islam» fut d’abord un avant-projet de livre. En le publiant, en partie, sous forme de chroniques, je voulais le faire connaître auprès de mes lecteurs «journalistiques» avant de le faire sortir en volume livre/librairie, aux éditions Tafat. Le sacré est une problématique qui me hante, sur le plan philosophique comme sur le plan littéraire romanesque. Le charlatanisme religieux et politique, profitant de la naïveté des citoyens, exploite le sacré pour faire passer ses messages et atteindre ses abjects objectifs. Dans une société où la culture de la raison est absente ou agonisante, où la pluralité culturelle et religieuse sont bafouées, le charlatan devient un intellectuel et le charlatanisme une religion. Le mal de cette société vient de cette exploitation du sacré par les hypocrites religieux et politistes. Et c’est le rôle des écrivains et des intellectuels éclairés de s’attaquer à ce commerce religieux illicite. Je suis convaincu que notre problème, en Algérie, n’est pas économique, mais plutôt civilisationnel et culturel. La religion est utilisée comme moyen pour éloigner le citoyen de sa réalité. La religion est la drogue la plus efficace pour endormir une société.
La charia serait, selon vous, cette «boîte noire de l’islam» qui l’aurait «vidé de sa spiritualité et de son ouverture», pourquoi ?
Dans «La boîte noire de l’Islam», j’ai imaginé l’islam comme un avion qui a chuté dans les eaux profondes d’un océan, un vieil avion de quinze siècles sans pilote! Et afin de comprendre les conséquences de ce crash, j’ai ouvert la boîte noire que j’ai trouvée dans les textes religieux et dans l’histoire de ces textes. J’ai lu, j’ai essayé de décoder le message qui explique cette chute catastrophique. Ainsi, j’ai essayé d’interpeller le pourquoi de «la haine islamique envers la femme», le pourquoi de «la violence islamique», le pourquoi de ce «sang islamique», le pourquoi de «la phobie de l’autre»… Effectivement, la charia est un ensemble de textes politiques avec une rhétorique religieuse. La charia est une explication politique saisonnière dont le but est de jeter la société musulmane dans une prison au nom des lois islamiques bien sélectionnées. Chaque calife avait son mufti qui est une sorte du ministère de la propagande religieuse. Chaque calife avait son Coran, parce que le Coran, sur le plan social, est une interprétation politique, juridique et sociétale! C’est les califes omeyyades qui ont débuté cette tradition, non recommandée par le prophète, afin de mettre une interprétation bien définie pour le texte sacré, le Coran, et mettre en avant des hadiths falsifiés ou pas fiables pour justifier leur pouvoir sur la société musulmane et justifier leur mainmise sur la religion. Et depuis, et jusqu’au jour d’aujourd’hui, chaque calife, président, roi ou roitelet a fait de l’islam un costume sur-mesure !
Pour quelles raisons, selon vous, les idées les plus radicales et les pensées les plus dogmatiques trouvent un écho auprès d’un nombre important de personnes ?
Aux yeux des pouvoirs politiques, la religion n’a jamais constitué un but en lui-même, elle n’est qu’un moyen fort pour gouverner, pour régner. Celui qui détient les mosquées déteint le pouvoir. Ce ne sont pas les universités qui forgent le pouvoir ou détrônent celui qui le détient. D’abord, le discours extrémiste islamiste est un discours populiste, accessible et piégeur. Il ressemble au discours fasciste. Il rêve d’une oumma et un califat islamique sans frontières. Une oumma sur toute la planète, où ne vivent que les musulmans. Les autres n’ont pas droit d’y vivre parce que l’islam, aux yeux des extrémistes religieux, est la dernière religion révélée ; la seule religion vraie et absolue. Les autres sont falsifiées et n’ont pas le droit d’exister. Leur existence est contre Allah. Cette idéologie hégémonique a trouvé une terre fertile pour germer ses grains empoisonnés. Une société sans culture de liberté, sans culture de la rationalité. Une population qui vit sans rêve. Des générations suicidaires. Et parce que l’idéologie religieuse islamiste extrémiste use d’un discours coléreux, elle a trouvé et facilement sa place et son impact sur ces générations égarées. Cette idéologie néo-fasciste est opérante parce qu’elle présente le passé historique des musulmans comme un temps paradisiaque, angélique, ce qui est complètement faux. L’Histoire des musulmans est une Histoire pleine de sang et de violence, cela perdure depuis la mort du Prophète. Les guerres entre les compagnons du Prophète nous montrent l’image de cette violence et de cette soif du pouvoir au nom de la religion ! Cette idéologie extrémiste religieuse néo-fasciste fait rêver les jeunes en détresse de mettre la main sur les richesses de l’Occident athée, prendre en butin de guerre les femmes, l’agent et la technologie!
Et les intellectuels «éclairés» dans tout cela ? Sont-ils démissionnaires ?
Nos intellectuels éclairés sont démissionnaires ou loin de la réalité. Ils vivent dans un silence complice. Dans chaque intellectuel éclairé sommeille un féqih ! Ce féqih se réveille dès qu’on touche à la religion ! Il n’existe plus ou peu d’intellectuels, à l’image de Mouloud Mammeri, de Jean Sénac ou de Kateb Yacine… Des intellectuels de réflexion, mais aussi de terrain. Nos intellectuels éclairés sont paresseux et fainéants surtout les arabisants. Ils ne participent pas dans le débat ou peu, et avec hésitation et confusion.
Vous le dîtes dans votre note introductive de «La boîte Noire de l’Islam» et vous le rappelez dans vos chroniques : le citoyen passe avant le croyant. Comment l’être selon vous?
Sur le plan institutionnel, nous sommes dans un Etat basé sur le droit civil, un Etat séculier, mais, en réalité, nous vivons dans un Etat pris en otage par une société religieuse. Le poids de la religion se sent partout. La société est régentée par le religieux. Il y a une énorme régression dans la liberté individuelle. Notre société est devenue un «ensemble d’êtres humains», un nombre de «gens qui se ressemblent». La société s’est transformée en un espace de clonage intellectuel. L’intellectuel de service politique, professionnel ou de nourriture ! Usant du même discours religieux, imprégnés par le même discours religieux, les citoyens, plutôt les individus, sont devenus identiques, le médecin comme le forgeron, l’universitaire à l’image de l’épicier. Face à cette uniformisation idéologique, la société est gangrénée par l’hypocrisie religieuse, intellectuelle, politique et morale. Le chaos dans l’échelle des valeurs. La patrie est un espace pour la diversité, pour la différence. Elle est capable, et elle est créée pour abriter les religions et les langues et les cultures de ses citoyens. Et c’est à l’Etat de droit de garantir cette pluralité en cultivant la culture de la citoyenneté au lieu d’encourager la culture de la foi. La foi, c’est un acte personnel. Un contrat entre créature et créateur ! La foi, dans notre société, est devenue un acte politique. Il faut que l’Etat, garant de la cité, veille au respect de la différence comme principe fondamental de la citoyenneté.
Vous avez titré cette note introductive «Islam(s) ou le non-dit !», est-ce une manière de souligner les différentes interprétations de cette religion ?
• L’Islam a une multitude de visages, selon les interprétations faites au texte fondamental de cette religion qui est le Coran. Les musulmans prient d’abord leur calife avant de prier Dieu. C’est le Calife qui est l’ombre de Dieu sur terre. Et chaque Calife a ses féqihs qui produisent des lectures des textes religieux à sa taille, sur commande. Donc le nombre d’Islams est au nombre des califes. Il y a l’islam de Daesh, celui du wahhabisme, celui du chiisme, celui des Mozabites, celui des Maghrébins, et chacun de ces islams a enfanté d’autres islams. Et chaque islam voit en lui la vérité divine absolue et en même temps considère que l’autre est un islam égaré et faux. Et par conséquent, il faut lui déclarer la guerre. Et c’est cela la réalité de l’islam politique dans le monde arabo-musulman.
Pensez-vous qu’il existe aujourd’hui en Algérie un véritable débat sur la question de l’islam ou vous vous sentez un peu seul ?
Je pense que la question de la religion et celle de la religiosité sont des phénomènes d’absurdité démesurée dans notre société. Si on n’arrive pas à établir un Etat séculier qui respecte la citoyenneté, on n’arrivera jamais à accéder à la modernité et à la liberté. Il faut avoir le courage intellectuel pour dénoncer la mainmise sur la religion au nom de la politique. Il nous faut un statut clair qui définit le rôle des mosquées. Il faut revoir le statut des écoles coraniques qui sont des bombes à retardement.
Dans quel état d’esprit vous écrivez vos chroniques ?
J’écris mes chroniques quand je me sens interpellé. Mon entourage universitaire et intellectuel, dans son côté fanatique, m’interpelle. Je suis un citoyen qui fait le marché et respecte la file d’attente devant la boulangerie ou devant l’agence de voyage, donc ce quotidien m’interpelle. La société algérienne est une mine de sujets qui nous interpellent, sur le plan religieux, sur le plan politique, sur le plan intellectuel, sur le plan universitaire, artistique… Je n’aime pas écrire en colère. Je préfère l’humour pour dénoncer. L’humour est plus fort que la colère. Je suis choqué par l’absence de la raison dans notre société prise en otage par le religieux et le fanatisme.
Pensez-vous traduire ce livre ?
J’ai déjà signé un contrat pour une traduction en allemand, il sortira aux éditions Sujet Verlag.
Cette question ne concerne pas votre livre directement, mais elle rejoint cet idéal de liberté que vous défendez : vous avez signé une tribune il y a quelques jours dans «Al-Arab» sur la liberté de création dans le Monde arabe. Vous y évoquiez les voix qui s’élèvent pour confiner les auteurs dans des cases, ce qui ne concorde par avec la réalité puisqu’il y a toujours des interconnexions et des liens entre les genres littéraires.
Dans la culture et la littérature arabes, le religieux a affecté la création. Ainsi dans la pensée littéraire arabe dominante, il est interdit ou mal vu celui qui mélange les genres littéraires, ou celui qui écrit dans plusieurs genres littéraires. Cette pensée littéraire conservatrice hisse des barrières entre les genres littéraires. Et cette situation bloque ou handicape la liberté de l’imaginaire dans l’écriture littéraire. Ces derniers temps, les critiques et les journalistes littéraires arabes parlent beaucoup de ce qu’ils appellent «l’exode littéraire des poètes vers le roman» tout en condamnant cet acte. La littérature, le texte littéraire, est libre dans sa forme et dans son style. La liberté est le sens et l’essence du beau. Il n’y a pas de frontières entre le roman et la poésie. Dans chaque texte narratif, il y a une poétisation et il y a du poétique, et dans chaque texte poétique il y a de la narration. La faiblesse des textes littéraires arabes réside, en partie, dans cette mentalité conservatrice moraliste qui règne et oriente inconsciemment le créateur dans son atelier.
• «La boîte noire de l’Islam» d’Amin Zaoui. Essai (recueil de chroniques), 156 pages, éditions Tafat, Algérie, Premier semestre 2018. Prix : 500 DA.