Alerter sur le sort et les conditions de vie des chibanis, c’est un des objectifs affichés de la Coopérative Chibanis, une nouvelle association roubaisienne présentée vendredi 2 avril à la presse. Portée à bout de bras par une trentaine de bénévoles et deux salariés, la coopérative veut replacer au centre du débat ces hommes mais aussi ces femmes, pour la plupart originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, venus en France pendant les Trente Glorieuses pour reconstruire la France après la Seconde Guerre mondiale.
article par Myriam Attaf publié sur le site saphirnews.com le 5 04 2021
C’est par un constat frappant, dressé dans un rapport parlementaire sur les chibanis en 2013, que le président de l’association, Hamza El Kostiti, commence son allocution. « Ce rapport dit que la France n’est pas reconnaissante envers les personnes venus du Maghreb, de l’Afrique subsaharienne, parfois d’Europe ou d’Asie venus construire les hôpitaux, les universités et les routes », énumère-t-il. « Ces personnes âgées vivent une double-peine : le mal-vieillissement et le mal-logement. »
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Une initiative citoyenne pour lutter contre l’invisibilisation des chibanis
Dans un plaidoyer rédigé pour le lancement de la Coopérative Chibanis, ses initiateurs soulignent que près de 900 000 personnes âgées de 60 ans et plus sont en situation d’isolement en France. Pour y remédier, et pour pallier à l’invisibilisation des chibanis et chibaniates, les bénévoles veulent frapper fort en interpellant les pouvoirs publics mais aussi et surtout, la société civile. « On ne veut pas créer une ONG classique qui serait un énième cliché de gestion de l’abandon. Nous voulons faire plus que ça. Nous voulons que les jeunes donnent de leur temps et que les enfants voient les adultes réorganiser la société autour des personnes âgées. » Car, au passage, la démarche de l’association se veut aussi inclusive, en se mettant au service de toutes les personnes âgées en situation de précarité sans aucune distinction.
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La coopérative sait que la sensibilisation passe par l’éducation. Ainsi, elle souhaite mettre à disposition des enseignants et des acteurs de terrain un centre de documentation afin de les aider à transmettre la mémoire de ces chibanis, constitutive aussi de l’histoire de France. Une mission qu’elle compte accomplir en s’appuyant sur toutes les bonnes volontés.
Si, pour le moment, la Coopérative Chibanis se concentre sur son antenne roubaisienne tout en travaillant à la création d’une autre structure dans la métropole de Lille, elle bénéficie déjà d’un important réseau qui, grâce au soutien de la Fondation Abbé Pierre, s’étend de Strasbourg à Toulouse en passant par Paris. Un maillage territorial qui permettra à la Coopérative Chibanis, espèrent les bénévoles, d’essaimer dans chaque département du territoire des permanences d’accueil capables de venir en aide aux « plus vulnérables des vulnérables ».
La crise sanitaire, un facteur aggravant
Également membre du réseau Pas Sans Nous, et associés à de nombreuses structures locales, l’association s’est plus que jamais, face à une crise sanitaire qui dure, investie auprès des chibanis frappés de plein fouet par la pandémie. « Pendant le premier confinement, on s’est rendu compte qu’il y avait des personnes âgées isolées qui ne pouvaient pas sortir ou qui étaient surprotégées », rapporte Hakima, la chargée de projet de l’association. « On a décidé de distribuer à ces personnes des colis alimentaires et des produits d’hygiène en partenariat avec une épicerie solidaire. Avec leur petite retraite, c’était vraiment compliqué pour eux de vivre au quotidien », partage la bénévole. « De plus, pendant le confinement, tout fonctionnait par Internet et ces populations-là étaient complètement perdues. »
Outre l’isolement, les bénévoles ont aussi constaté l’abandon et la résignation de certains travailleurs sociaux au plus fort de la pandémie. « Pendant notre tournée des foyers, nous avons vu une équipe de travailleurs sociaux quitter certains foyers en laissant derrière eux des affiches, ce qui nous a choqué. Nous ne voulons pas que les foyers deviennent des mouroirs », déclare Hamza Elkostiti qui, suite à ce constat, a appelé les autorités lilloises à la vigilance.
« Il faut faire ensemble, recréer du lien social et de la République »
C’est dans ce contexte que les bénévoles comptent, via cette coopérative, proposer « un modèle hybride en innovation sociale ». « Nous pensons que le cliché de la pauvreté n’est pas un cliché émancipateur. Peut-être qu’il est possible de faire un pas de côté et de proposer aux gens d’être acteurs », aussi bien les premiers concernés que les membres de la société civile, déclare le bénévole. « Dans notre plaidoyer, nous appelons l’Etat à prendre ses responsabilités (…) mais nous demandons aussi aux chibanis de prendre leur part de responsabilité, de venir vers nous même si ce n’est pas simple. Dans notre projet, tout le monde est responsabilisé. »
C’est donc un effort collectif que la coopérative veut encourager. Son président a d’ailleurs tenu à saluer lors de la conférence de presse le travail de l’historien Pascal Blanchard qui, à la demande du président de la République, a dressé une liste de 318 noms de personnalités issues de la diversité pour renouveler les rues et les places publiques de France. « Notre devoir est aussi de rendre visible les personnes âgées immigrées » et que leur contribution soit reconnue dans l’espace public, plaide-t-on.
« Le vivre-ensemble ne suffit plus. Il faut faire ensemble, recréer du lien social et de la République dans nos quartiers et dans nos territoires, insiste Hamza Elkostiti. Nous voulons que ces petites gens, ces petites mains reviennent sur le devant de la scène ».