Naufrages dans la Manche : quelles solutions ?

Pierre Henry, président de France-Fraternités, livre dans la Tribune du Dimanche du 8 septembre, son point de vue sur la politique migratoire mise en œuvre par la France et la Grande-Bretagne dans la région de Calais

Quelques heures après le naufrage en Manche, mardi 3 septembre, d’un canot de fortune ou étaient entassées des femmes, avec des mineurs, en provenance de la corne de l’Afrique, de nouvelles embarcations étaient mises à l’eau. Au nez et à la barbe des patrouilles de police françaises, sous l’œil des caméras de télévision, par des mafias qui se jouent depuis bien longtemps des déclarations musclées des partisans d’un objectif « territoire zéro migrant ».

Les chiffres parlent d’eux-mêmes pour dire l’échec total de la politique migratoire mise en œuvre dans la région de Calais par la Grande-Bretagne et la France. Le nombre de traversées réussies vers l’Angleterre n’a jamais cessé de croître. Depuis 2018, elles représentent selon les autorités britanniques un total de 140.000 personnes (en juin 2024). Celles-ci sont principalement de nationalité afghane, iranienne, turque, érythréenne, irakienne. Elles fuient les dictatures et la guerre. Le nombre de décès dans le détroit de Douvres, situé à 250 km de Paris, suit également une courbe exponentielle, atteignant 37 morts depuis le premier janvier 2024.

Cet échec, chacun le constate. À commencer par Gérald Darmanin – il n’est jamais trop tard – quand l’ex-ministre de l’Intérieur déclare le 3 septembre qu’il appartiendra au gouvernement Barnier de négocier un nouveau traité migratoire avec la Grande-Bretagne. Ce traité existe depuis 2003. Il s’appelle l’accord du Touquet. Il a été renégocié à six reprises, en 2009, 2010, 2014, 2018, 2022 et la dernière fois en mars 2023. Le principe est toujours le même : Londres paie Paris afin d’externaliser sa frontière de Douvres à Calais. Ce qui lui permet, de fait, de ne pas respecter l’examen obligatoire des demandes d’asile. La Grande-Bretagne impose ainsi le déploiement de ressources technologiques et humaines, de drones, de barrières électroniques et de policiers en nombre toujours plus important sur le territoire français, dans l’objectif de verrouiller les différents accès ferroviaires et maritimes à son sol.

Chacun comprend que le contrôle de centaines de kilomètres du littoral du Nord et du Pas-de-Calais est une tâche impossible.

Voilà dix années, et davantage, que les associations, les politiques de toutes tendances et les organisations internationales soulignent la nécessité d’une réponse globale, qui ne soit pas limitée au volet sécuritaire, et prônent l’ouverture de voies de migration légales vers la Grande-Bretagne. Pour les demandeurs d’asile comme pour les personnes qui ont de la famille au Royaume-Uni. C’est du bon sens. Les politiques déployées à Calais et sur le littoral ne font que rendre les populations exilées totalement dépendantes des mafias criminelles. Ces populations se cachent dans la précarité la plus totale, les associations n’ont plus accès à elles, l’information à laquelle elles sont soumises proviennent des seuls passeurs qui n’ont qu’un objectif : rentabiliser leur business au plus vite et à tout prix.

Renégocier un accord migratoire n’est pas de la seule responsabilité de la France et de la Grande-Bretagne ; c’est aussi celle de l’Union Européenne. Trop de personnes sont en errance sur le sol européen, « dublinées », sans droits, ni titres. Faut-il des exemples ? En voici : des Afghans, déboutés de leurs demandes d’asile, que l’on ne renvoie pas en Afghanistan, parce que nous n’entretenons aucune relation (et heureusement) avec le régime taliban. Nous les laissons errer dans le plus grand dénuement. D’autres sont enregistrés dans le premier pays européen d’entrée, en vertu de l’accord de Dublin, mais ils sont priés de poursuivre leur route plus au Nord, comme cela se pratique régulièrement depuis l’Italie. Dès lors, elles ne peuvent pas déposer de demande d’asile dans un autre pays.

Dans un contexte ou la question migratoire est porté à incandescence par les courants populistes, il n’est pas simple d’avoir du courage et de la solidarité. Il s’agit de mettre en œuvre une reconnaissance mutuelle des décisions d’asile entre les principaux pays d’accueils, l’attribution de titres de séjours pour les personnes que l’on ne veut ou peut renvoyer, l’ouverture de voies de migration légales et sécurisées, la nécessaire coopération et solidarité avec les pays de transit et d’arrivées.

Les postures musclées, qui n’ont aucune possibilité d’être appliquées, ont aggravé le doute sur la capacité de l’Etat à agir, tout comme les surenchères en faveur d’une ouverture des frontières sans limites. Entre inaction et instrumentalisation, entre migrants déployant leurs propres stratégies pour survivre et gouvernants tenant leurs propres agendas, un doute culturel et social s’est instillé au plus profond des Nations. Nous avons le devoir de le combattre, de prévenir les drames. Et pour cela, de modifier des politiques ineptes en disant la vérité sur une réalité complexe.