Dans un livre et bientôt à l’écran, Ouissem Belgacem raconte comment son homosexualité l’a privé d’une carrière de footballeur professionnel. Son récit résonne avec le refus, le week-end des 13 et 14 mai, de quelques joueurs de porter un maillot floqué d’un arc-en-ciel.
Propos recueillis par Florian Lefèvre publié sur le site lemonde.fr , le 15 05 2023
Ancien espoir du centre de formation du Toulouse Football Club (TFC), le Français d’origine tunisienne Ouissem Belgacem racontait, en 2021, dans « Adieu ma honte » (Fayard) son « chaos intérieur », comment son homosexualité – cachée pendant vingt ans – l’a privé d’une carrière professionnelle. Deux ans plus tard, il prolonge ce récit dans une série documentaire éponyme qu’il incarne et qui sera diffusée début juin sur Canal+*
Que se serait-il passé si Ouissem Belgacem avait révélé son homosexualité à l’époque où il était au centre de formation toulousain ? « Plus personne ne lui aurait parlé (…), c’est certain », assure, dans la série documentaire, Etienne Capoue, son ancien camarade du TFC, devenu international français.
Pour changer les mentalités, Ouissem Belgacem, 35 ans, s’emploie aujourd’hui – bénévolement – à sensibiliser les joueurs des centres de formation quand il y est invité par des clubs. Mais la lutte contre l’homophobie dans le football reste un combat difficile à porter. « Parfois, j’ai l’impression d’être seul devant une montagne », assure-t-il au Monde en désignant les instances du football français.
Pour rappel, alors qu’à l’étranger de très rares joueurs ont fait leur coming out, comme l’Australien Josh Cavallo ou le Tchèque Jakub Jankto, en France, aucun joueur de Ligue 1 ou Ligue 2 en activité n’a encore jamais révélé son homosexualité.
Une poignée de joueurs de Ligue 1 et de Ligue 2 ont refusé de porter les maillots au flocage arc-en-ciel le week-end du 13 et 14 mai. Quelle leçon tirez-vous de l’initiative annuelle de la Ligue de football professionnel (LFP) liée à la Journée mondiale contre l’homophobie ?
La leçon, c’est que cette initiative ne fonctionne pas… Quand bien même tous les joueurs porteraient ce maillot. Si on le faisait sur la base du volontariat, on pourrait au moins voir ceux qui soutiennent la lutte contre l’homophobie. Là, je ne vois aucun post sur les réseaux sociaux de joueur qui dirait : « Je suis hyper fier d’avoir participé à cette action. » Les joueurs le font parce qu’ils doivent le faire, mais est-ce qu’au fond d’eux, ils y croient vraiment ?
Ce n’est pas parce qu’on arbore le drapeau arc-en-ciel une fois par an sur les terrains de foot, à tout-va, que les gens vont soudainement se réveiller moins homophobes. Pour lutter contre l’homophobie, il faut éduquer : prendre le temps de former et répéter.
Les joueurs du Toulouse FC, Zakaria Aboukhlal, et du FC Nantes, Mostafa Mohamed, ont demandé, par le biais d’un post sur les réseaux sociaux, que l’on « respecte » leurs « croyances personnelles », eux qui sont musulmans. Qu’avez-vous à leur dire ?
J’aimerais bien que ces joueurs comprennent que porter le maillot floqué d’un arc-en-ciel, ce n’est pas faire la promotion de l’homosexualité. C’est un signe contre les violences homophobes, au pays des droits de l’homme. Aujourd’hui, en France, deux hommes peuvent se faire tabasser dans la rue parce qu’ils se tiennent la main. Il y a des principes qui doivent être universels, et lutter contre tous les types de violence, cela en fait partie.
Ce que je lis dans ces déclarations, c’est « je suis homophobe, respectez-moi ». Et ils utilisent la carte de la religion pour justifier leur propre homophobie. Par ricochet, ça donne encore une mauvaise image de l’islam en France. Mais qu’on soit clairs : il y a des millions de Français d’origine musulmane qui n’ont aucun problème avec l’homosexualité. J’ajoute que l’homophobie que j’ai vécue est transversale à tous les milieux traversés, populaires et bourgeois, dans ma communauté religieuse et dans l’entreprise où j’ai travaillé.
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Parmi ces joueurs du TFC, il y en a face à qui vous avez mené une conférence de sensibilisation à la lutte contre l’homophobie, comme on le voit dans la série documentaire « Adieu ma honte »…
Cela me déprime parce que ces joueurs ont un devoir d’exemplarité devant notre jeunesse et ils rendent mon travail incroyablement plus difficile. Les jeunes en centre de formation idolâtrent un peu les pros. J’ai passé une semaine au TFC, à rencontrer toutes les équipes, y compris les professionnels, à échanger, débattre…
Dimanche, le club toulousain a affirmé dans un communiqué avoir écarté les joueurs ayant refusé de porter le maillot floqué de l’arc-en-ciel pour le match contre Nantes, tout en se disant « respectueux des choix individuels ». Selon vous, cette communication est-elle appropriée ?
Le club a bien réagi en écartant les joueurs, mais, pour moi, cette dernière formulation ne passe pas tout. A l’instar des déclarations d’Hugo Lloris au Qatar [lors de la dernière Coupe du monde, le capitaine de l’équipe de France n’était pas favorable au port d’un brassard arc-en-ciel dans l’émirat, arguant qu’il comptait « montrer du respect » au pays hôte de la compétition où l’homosexualité est criminalisée]. Non, on ne peut pas respecter le fait qu’un homme se fasse tuer parce qu’il aime un autre homme.
Vu le retentissement médiatique de votre livre en 2021, vous espériez pouvoir travailler à la lutte contre l’homophobie avec les instances du football français, mais cela ne s’est pas passé ainsi. Pourquoi ?
Je pense qu’une partie des instances du football français, la Fédération française de football (FFF) et la LFP, n’a pas envie de prendre le problème de l’homophobie à bras-le-corps. Quand on veut prendre un sujet à bras-le-corps, on y met des moyens humains, financiers et logistiques. Or, quand j’ai échangé avec un responsable de la LFP, ce monsieur m’a dit qu’il n’y avait pas de formateur « diversité » au sein de l’instance et pas forcément de budget dédié… Du côté de la FFF, c’est le silence.
On voit aussi dans la série documentaire qu’en l’espace d’une conférence en centre de formation, des jeunes peuvent faire preuve d’ouverture d’esprit…
Oui ! J’espère que ma série prouve que tout n’est pas perdu. Mais le message pourrait être tellement plus porteur avec le soutien des institutions. Et n’oublions pas tout le monde amateur… Aujourd’hui, les joueurs de football ont des millions de suiveurs sur les réseaux sociaux. Ce sont des leaders d’opinion ! Il faut les éduquer. Moi, je serais ravi de parler à la LFP et la FFF d’une action qui ferait vraiment avancer la cause la saison prochaine.
* « Adieu ma honte », série documentaire écrite par Ouissem Belgacem d’après son récit autobiographique et réalisée par Renaud Bertrand (4 × 26 minutes). Disponible à partir du 1er juin sur canalplus.com et le 7 juin sur Canal+ Docs.
Florian Lefèvre