Avec “Des pays en débat”, Pierre Henry retourne en studio pour décrypter un pays sous l’angle des droits de l’Homme. Les sujets abordés gravitent autour des libertés publiques, des droits des femmes et des diverses révoltes populaires dans certains pays du globe. Aujourd’hui : l’Arabie Saoudite.
Pour ce huitième épisode, « Des pays en débat » invite Aminata Niakate, avocate au barreau de Paris et présidente, depuis 2021, d’Ensemble Contre la Peine de Mort. Elle aborde au micro de Pierre Henry la conditions des opposant.e.s du gouvernement Saoud et plus précisément les exécutions massives encore pratiquées par le gouvernement du Prince héritier Mohamed Ben Salman, qui cherche pourtant à « moderniser » son pays.
Entretien
Mohammed Ben Salman se présente comme un dirigeant éclairé qui entraînerait l’Arabie saoudite vers la modernité. Quelle est votre appréciation sur ce sujet ?
Il a fait, depuis son accession au pouvoir, beaucoup de déclarations intéressantes. Il dit notamment vouloir favoriser l’accès des femmes au marché de l’emploi, mais dans le même temps, certains commentateurs parlent d’opérations de communication à destination du client, de poudre aux yeux et même d’homme aux deux visages. Je pense notamment à Loujain Al-Hatloul qui militait pour le droit de conduire, elle a été emprisonné en 2008. Pendant deux ans et demi, sans ses proches, elle a été torturé avec des chocs électriques et elle a subit des humiliations sexuelles avec des menaces de viol. En 2019, on lui a proposé d’être libérée si elle tournait une vidéo pour dire qu’elle n’avait pas été torturée. En décembre 2020, où elle a été finalement jugée condamnée à cinq ans de prison avec sursis et elle n’est sortie qu’en février 2021. Et aujourd’hui, une interdiction de voyage pendant cinq ans plane toujours au dessus de sa tête.
L’Arabie Saoudite détient un record du monde – qu’elle partage d’ailleurs avec la Chine et l’Iran – en matière d’exécutions de condamné.e.s à mort. Cette politique est-elle dirigée vers une frange particulière de la population ?
En avril 2009, d’après un communiqué, on avait réalisé qu’il y avait eu un certain nombre d’exécutions. Nous avions observé que ce sont des jeunes, des femmes et beaucoup d’hommes issus des minorités chiites. Il y a aussi des mineurs qui sont exécutés, alors que la Commission des Droits Humains saoudienne avait déclaré suspendre les exécutions pour les crimes commis par les personnes mineures. Et puis, récemment, l’Arabie saoudite a exécuté 80 personnes et parmi elles, il y avait des étrangers et 41 personnes de la minorité chiite. Donc effectivement, une peine de mort qui cible – en tout cas qui discrimine – une minorité religieuse.
Il y a encore une semaine, il y a eu des manifestations dans le nord de l’Arabie Saoudite suite à l’annonce de la prochaine exécution de huit adolescents. Quelle est l’analyse d’Ensemble Contre la Peine de Mort sur l’évolution et l’inflexion possible de l’Arabie Saoudite sur ce sujet ?
On ne constate pas d’inflexion. Il y a des déclarations, mais la réalité est tout autre. L’Arabie Saoudite a exécuté 120 personnes au cours des six premiers mois de 2022. C’est près du double du nombre de personnes mises à mort l’année précédente au cours de la même période. Le climat spécial confirme des condamnations à mort des personnes mineures au moment des faits.
Est-ce-que ECPM a des connexions avec d’autres organisations sur le plan international pour peser et tenter de peser sur le pouvoir saoudien ?
Alors je ne vous cache pas que l’Arabie Saoudite est un pays difficile d’accès pour les défenseurs des droits humains. Pour eux, c’est risqué de se positionner ouvertement contre la peine de mort ainsi que pour les journalistes, les avocats. Une étude sur le processus d’abolition de la peine de mort dans les États membres de l’Organisation de coopération islamique nous montre qu’ils sont lents. Mais il y a des raisons d’espérer parce qu’on voit un nombre croissant d’États musulmans devenus abolitionnistes. Bien évidemment, l’abolition de la peine de mort n’est pas acquise. Mais l’intervention de parlementaires, d’acteurs de la société civile ou de personnes politiques en faveur de l’abolition jouent sur ces pays. En 2021, sur les 57 Etats membres, 20 ont aboli la peine de mort et douze sont en moratoire.
Pour aller plus loin
L’Arabie Saoudite est ce vaste pays de la péninsule. Berceau de l’islam, le royaume abrite La Mecque et Medina, les deux villes saintes de la religion du livre. C’est la destination du hadj, le pèlerinage musulman, qui réunit des millions de personnes chaque année.
La Mer Rouge l’accoste sur la façade Est et le golfe Persique est à son Ouest. Cette région est le cœur pétrolier du monde : le Qatar, Bahreïn, les Emirats Arabes Unis et l’Iran sont les grands acteurs de la course à l’or noir. Qui représente d’ailleurs le principal revenu du royaume saoudien. Ses exportations lui permettent de créer une dépendance auprès des plus grandes puissances mondiales comme la Chine, le Japon ou encore les Etats-Unis.
La quasi-totalité des saoudiens, 38 millions de personnes, est musulmane. On compte 10% à 15% de chiites et une petite minorité de chrétiens, principalement immigrés d’Asie du sud. Mais en Arabie, la diversité religieuse n’est pas bien admise.
La religion d’Etat, c’est l’islam sunnite. Le courant “wahhabite”, un mouvement rigoriste de l’islam, influence largement le royaume. Il est souvent associé au développement de certains réseaux terroristes.
Le gouvernement saoudien a souvent été accusé de financer ou de soutenir les tendances extrémistes islamistes. On se souvient de l’attentat des tours jumelles à New York en 2001, du rôle de Ben Laden et de ses acolytes saoudiens.
Mais le rival ultime, c’est l’Iran. Une puissance chiite, contre qui l’Arabie Saoudite se bat, à n’importe quel prix. Le gouvernement est en guerre avec les Houthis, communauté chiite du Yémen. Depuis 2015, les attaques armées ne cessent d’un camp à l’autre.
L’assassinat par démembrement du journaliste Khashoggi en 2018 à Istanbul montre le pouvoir meurtrier du gouvernement Saoudien. Le prince héritier est le suspect numéro 1 dans cette affaire. L’Arabie Saoudite fait la guerre à toute forme d’opposition, religieuse ou politique.
Diffusion samedi 10 décembre à 8h20, rediffusion le dimanche à la même heure. La fréquence francilienne de Beur FM est 106.7. Si vous souhaitez écouter l’émission depuis une autre région française, vous trouverez toutes les fréquences en suivant ce lien. Prochain pays en débat le 17/12/2022.