Podcast Beur FM. « Le Liban en débat » : interview avec Alexandre Cordahi

Avec “Des pays en débat”, Pierre Henry retourne en studio pour décrypter un pays sous l’angle des droits de l’Homme. Les sujets abordés gravitent autour des libertés publiques, des droits des femmes et des diverses révoltes populaires dans certains pays du globe. Aujourd’hui : le Liban. 

Alexandre Cordahi est professeur de droit du commerce à l’Université Loyola de Chicago et plus généralement spécialiste du Liban. Depuis l’année dernière, les libanais.e.s se révoltent contre un gouvernement corrompu, un fléau économique qui fait dégringoler leur niveau de vie.

Entretien

Est ce qu’il y a un lien entre corruption endémique et organisation multiconfessionnelle ?

Il y a plusieurs périodes dans l’histoire du professionnalisme au Liban. Il y a celle de la construction du Liban, que ce soit après la Constitution de 1926 ou après la deuxième guerre mondiale ou après la guerre de 1975. Les formes et l’impact du confessionnalisme n’est pas exactement le même. Aujourd’hui, nous ne sommes pas dans une situation de corruption endémique. Nous sommes dans un système que certains appellent « mafieux ». Ce n’est plus la corruption des hommes d’affaires. L’époque où il y avait les serviteurs de l’Etat, où il y avait une démocratie – la seule dans le monde arabe – où il y avait le respect et le refuge des minorités, cette époque est révolue. Les choses sont différentes. Dans l’histoire, il y a eu plusieurs formes de corruption. Parfois, on parle presque de tribalisme, qui existent dans d’autres pays. Ce n’est pas propre aux religions confessionnelles. Ça peut être lié à d’autres aspects du clientélisme, de prise illégale d’intérêts, de corruption.

Comment expliquez vous qu’après la guerre du Liban qui s’est terminé aux alentours des années 90, il y a eu une période de prospérité économique suivie d’une période d’effondrement et de corruption des hommes au pouvoir ?

Avec la guerre, il y a eu de nouveaux acteurs qui sont arrivés au pouvoir. Avant, c’était la corruption d’affaires. Mais enfin, la place était à l’économie avec ce type confessionnel qui était un peu démocratique : liberté de la presse, d’expression, etc. Mais ce n’était pas déjà la prise en otage des communautés par des chefs de clans miliciens et violents. C’était plus doux. Tandis que, à partir d’un certain moment donné, c’est devenu un système avec violence, avec assassinat, avec terrorisme, avec pillages, avec des ports illégaux.

Qui sont les nouveaux acteurs de ce système « mafieux » au pouvoir ? 

C’est des chefs de clan miliciens, des classes moyennes, ça peut être aussi des communautés qui avaient été écartées de ce Liban des affaires et qui y sont entrées. Il y a donc une sorte de renouvellement communautaire, mais par des acteurs qui sont à la fois des hommes d’affaires, mais également des hommes de clan, des hommes de violence, des hommes de milice. Également, à un moment donné, il y a eu une sorte d’économie de guerre avec du trafic de drogues, d’armes, etc. Donc tout cela peut renforcer l’apparence de la question confessionnelle. Mais parfois, vous aviez des ententes dans les mêmes gouvernements entre ces chefs de clans qui se prétendent ennemis.

Vous voyez une sortie raisonnable de crise pour le Liban. Et si oui, laquelle ? 

Il y a plusieurs scénarios. L’un d’eux, c’est que le FMI exerce une pression extérieure. Il y a un certain nombre de réformes qu’ils auraient dû appliquer. Nous parlons des services publics, des questions de politique et de confessionnalisme, de sectarisme et de pillage. C’est un scandale. Et c’est ce qui fait que la population civile, toutes confessions confondues s’est donnée la main pour essayer de changer le système. De fait, il y a eu une crise financière qui a renforcé le repli sur soi, le repli confessionnel. Contrairement à la Tunisie, par exemple, il n’y a pas de syndicats. Au Liban, il y a l’espoir qu’avec l’accord du FMI et surtout avec les élections présidentielles – et législatives qui vont suivre – une sorte d’autorité de l’Etat se rétablisse.

 

Des milliers de Libanais se sont rassemblés samedi 8 août à Beyrouth pour crier leur colère. NATHANAEL CHARBONNIER

Pour aller plus loin

En chantant “A Beyrouth, de mon coeur un salut à Beyrouth”, Fairuz rend hommage à sa ville d’adoption, capitale de son pays : le Liban. Bordée par la mer Méditerranée, Beyrouth regroupe à elle seule 2 millions d’habitants. “Liban” désigne en arabe “blanc” ou “lait” qui réfère à la couleur de ses montagnes. C’est une particularité dans cette région du monde. Des montagnes blanches, mais aussi des cèdres. D’ailleurs, c’est le symbole du pays depuis sa création. Le Liban actuel est initialement une province de la Syrie dont la France hérite, en 1920. D’abord, il est nommé “Grand Liban” par les français, puis autobaptisé juste “Liban”. 

C’est un territoire qui est plus petit que l’Île de France. Sa population environne les 6 millions, parmi lesquels on compte aujourd’hui presque 1 million de réfugiés syriens, qui ont fui les bombardements depuis 2011. Côté économie, le Liban importe, plus qu’il n’exporte et reste dans une situation déficitaire qui encourage l’instabilité globale dans le pays. 

La République du Liban est déclarée en 1943. Elle porte une spécificité, le “pacte national” qui organise le système ainsi : le christianisme maronite est Président de la République; L’islam sunnite est premier ministre et l’islam chiite siège à la présidence de l’Assemblée nationale. Une répartition du pouvoir qui semble équitable, mais qui alimente des tensions interconfessionnelles.

Le problème palestinien et le conflit avec la Syrie encouragent l’éclatement en 1975, d’une guerre civile au Liban. Au sein du pays, il y a des divisions entre les communautés religieuses. A l’intérieur de ces communautés, on trouve des divisions entre les clans. Les minorités religieuses s’entretuent. Le conflit se termine en 1990 et laisse le pays en reconstruction.

Après quelques années de prospérité économique, le gouvernement libanais est depuis 2019 la cible de révoltes populaires. Les conditions de vie y sont catastrophiques. En 2020, les deux explosions de produits chimiques sur le port de Beyrouth font plus de 200 morts. L’Etat ne reconnaît aucune responsabilité et fuit les conséquences matérielles et vitales de ces accidents. Logements et ressources alimentaires ont été détruites. 

Plus récemment, certains civils braquent des banques pour avoir accès à leur argent, un droit fondamental qu’ils n’ont pas. Au Liban, le peuple est démuni, dans une pauvreté extrême. 

 

Diffusion samedi 3 décembre à 8h20, rediffusion le dimanche à la même heure. La fréquence francilienne de Beur FM est 106.7.  Si vous souhaitez écouter l’émission depuis une autre région française, vous trouverez toutes les fréquences en suivant ce lien.  Prochain pays en débat le 10/12/2022.