Cannes 2022 : « Tori et Lokita », les frères Dardenne entre générosité et manichéisme

Dans « Tori et Lokita », les deux réalisateurs belges suivent le parcours de deux immigrés béninois en quête de papiers.

article par Mathieu Macheret diffusé sur le monde.fr le 25 05 2022 republié le 04 10 2022 pour la sortie en salle

Il y a un peu plus de vingt ans, à la fin des années 1990, les frères Dardenne, avec La Promesse (1996) et surtout Rosetta (1999), inventaient une nouvelle forme embarquée de réalisme, si abondamment déclinée qu’elle s’est depuis imposée comme sa définition majoritaire. Deux Palmes d’or plus tard (Rosetta et L’Enfant), leur cinéma n’a pas beaucoup évolué : les personnages en détresse s’y succèdent et les mêmes formules y produisent les mêmes effets de sens, à savoir faire éprouver « un sentiment de révolte contre l’injustice qui règne dans nos sociétés », comme ils l’écrivent dans leur note d’intention.

Aujourd’hui, c’est au tour d’un petit garçon et d’une adolescente, immigrés du Bénin, d’accomplir le parcours d’épreuves dardénnien dans Tori et Lokita, présenté en compétition au Festival de Cannes, où le duo a désormais ses habitudes (et eu de nombreuses récompenses). Le film scrute le lien indéfinissable qui unit ces deux naufragés sur le pavé liégeois, se prétendant frère et sœur auprès des services sociaux, mais soudés par quelque chose de plus profond, comme la chansonnette qu’ils poussent le soir au karaoké ou l’expérience de l’exil. Espérant la régularisation de l’aînée, ils se laissent exploiter pour des clopinettes, ici par un restaurateur véreux, qui les envoie délivrer de la drogue, là par leurs passeurs qui les dépouillent à l’occasion – symptômes d’un néoesclavagisme contemporain, au cœur des sociétés occidentales.

Mais les papiers sont refusés et Lokita, pour en obtenir des faux, se retrouve séquestrée comme « jardinière » dans une ferme clandestine de cannabis. La mécanique du pire s’enclenche et jamais jusqu’alors les Dardenne n’avaient autant donné l’impression d’appliquer un programme aussi machinal, d’aligner les séquences attendues, de sacrifier au manichéisme, pour déboucher à la fin sur un message, certes généreux – ne pas régulariser, c’est mettre en danger –, mais livré tout cuit.

Film belge et français de Jean-Pierre et Luc Dardenne. Avec Pablo Schils, Joely Mbundu, Alban Ukaj, Tijmen Govaerts (1 h 28). Sortie en salle le 28 septembre 2022.

Mathieu Macheret