Acte de transparence voulu par Emmanuel Macron, l’ouverture des archives judiciaires et policières de la guerre d’Algérie suscite bien des crispations chez les affabulateurs de l’Histoire.
Dans la chronique de la guerre de décolonisation imaginaire franco-algérienne, c’est le dernier épisode : un arrêté interministériel publié jeudi 23 décembre au Journal officiel acte l’ouverture des archives judiciaires françaises «en relation» avec la guerre d’Algérie (1954-1962) avec quinze ans d’avance sur le calendrier légal.
Très vite, dans les deux pays, on a échafaudé deux types d’interprétations : celle de la réconciliation des mémoires, chère à Macron ; et celle des enjeux diplomatiques, car la France aurait encore besoin de l’Algérie comme partenaire face aux Turcs, aux Russes et autres nouveaux conquérants de la région.
En France, on se soucie peu de cette «guerre imaginaire» et pour cause : il y a mieux à faire que de discuter de la mémoire quand se pose la question des impôts, du pouvoir d’achat ou du Covid. Mais au sud, en Algérie, terre qui tourne autour du souvenir et des monuments aux morts ? C’est la grande affaire encore et encore. Toujours ? À une réserve près : les archives représentent aussi un dossier «crainte et tremblement», pour reprendre le fameux titre du philosophe angoissé.
«Mais le plus curieux, dans l’affaire, c’est la croyance, en Algérie, que les archives seraient une boîte de Pandore.»
Boîte de Pandore. Car on aime bien, de l’autre côté de la mer, cultiver la moue du peu convaincu, le scepticisme face à la ruse du «colonisateur absolu». Le passé local a été tellement sublimé, réduit au manichéisme bollywoodien parfois, épuré et fantasmé, que l’ouverture des archives signifie aussi retour au réel, relativisation, coefficient de complexité et «humanisation» paradoxale de cette histoire commune. Elle montre qu’une partie de la France veut assumer et cela laisse nue la partie algérienne, qui ne veut pas le faire de son côté, refusant de remettre en question ses propres actes et son récit de légende dorée.
Mais le plus curieux, dans l’affaire, c’est la croyance, en Algérie, que les archives seraient une boîte de Pandore. Ces vieux dossiers ont longtemps nourri le mythe d’un régime «traître», de clauses cachées des accords d’Évian, de secrets de la France éternelle qui lui conféreraient un pouvoir éternel. Et aussi celui du collaborationnisme du régime, qui ne veut pas que la France ouvre ses archives pour ne pas voir défiler les noms de ses apparatchiks sur la liste des collabos. Vieux mythe tenace, recyclé par la littérature politique islamiste anti française, nourrie par la paranoïa d’une histoire locale confinée et réutilisée à chaque rapprochement franco-algérien. Le soupçon alimente la passion mieux que la vérité, qui la tue.
Les archives françaises sont donc imaginées comme des actes de trahison des officiers traitants et de torture, des révélations de liaisons scandaleuses et l’instrument d’une autre guerre (algérienne) à l’intérieur de la guerre imaginaire éternelle faite à la France.
Aura maléfique. C’est ici que l’on bifurque pour s’éloigner de la politique et s’enfoncer dans le délire : en Algérie, l’histoire est un doute contrebalancé par la férocité des certitudes. La question des archives françaises devient l’indice d’une maladie intime : le défaut cruel d’une histoire humaine, réelle, précise et acceptée au plus secret de chacun en Algérie. On refait la guerre à la France pour remettre à plus tard le devoir de construire une véritable indépendance par l’effort et l’acceptation.Et c’est alors que les archives françaises de la guerre se retrouvent cycliquement investies d’une aura maléfique, crainte et désirée, tel un mystère du Vatican. transparence
, tout à la fois on veut que la France ouvre ses archives de guerre en Algérie, mais on redoute la lumière projetée sur soi. C’est un mélodrame avec un seul acteur sur une île mentale où il vit seul. La France ? C’est aussi une affaire algérienne intime, algéro-algérienne, d’altérité manquée et de rapport au monde mal noué. On ne peut décrypter la passion que suscite ce sujet en Algérie si on ne saisit pas que c’est le dialogue fou et tragique d’un pays avec lui-même.