La bromance de Tariq Zemmour et Eric Ramadan

Dans son dernier livre, le polémiste dresse un portrait clément du prédicateur musulman poursuivi pour viol. En titrant ce passage « Frères ennemis », Eric Zemmour assume un effet miroir éloquent.

chronique de Pascal Riché publiée sur le site nouvelobs.com, le 16 09 2021

Dans son dernier livre « La France n’a pas dit son dernier mot », le polémiste nationaliste Eric Zemmour relate ses déjeuners en ville depuis 2006 et égratigne les uns et les autres à pleines griffes. Les personnages qui s’en tirent bien sont rares. Parmi eux, surprise, Tariq Ramadan.

Le théologien et prédicateur musulman, souvent accusé de flirter avec l’islamisme, devrait être tout ce que vomit Zemmour, mais non. Page 147, ce dernier lui rend au contraire un hommage appuyé, relatant un déjeuner joyeux qu’il a partagé avec lui le 4 janvier 2012, chez Diep, un restaurant asiatique non loin des Champs-Elysées. C’est Eric Naulleau, clown blanc de Zemmour, qui a organisé ce « repas des trois religions du livre », dont il a eu l’idée après un débat à fleurets mouchetés entre les deux autres à la télévision. « Ramadan est souriant et avenant, raconte Zemmour. On évoque l’Egypte et sa famille, l’Algérie et la mienne […] Les vapeurs de crevettes et les soles à la sauce caramel sont avalées sous les rires. »
Puis Zemmour évoque les « messages anodins » qu’il a par la suite échangés avec Ramadan (« le Journal du Dimanche » en avait révélé en 2018 quelques-uns, du genre : « J’aime nos débats francs et virils. ») Il se désole des « ennuis judiciaires » qu’a connu son partenaire de télé et de tablée : « Je demeure convaincu qu’il est tombé dans un piège. » Il se moque des jeunes femmes qui ont accusé Ramadan de viol, considérant l’argument de « l’emprise » comme une « trouvaille des féministes pour criminaliser l’homme, bourreau éternel » alors qu’il ne s’agit, selon lui, que de ce qu’on appelait jadis « les affres de l’amour ». Il explique qu’il a pris en pitié Ramadan en le voyant, à la télé, sortir de prison « les cheveux blanchis, la mine défaite » et plus encore lorsque Jean-Jacques Bourdin lui a demandé : « Pratiquez-vous la sodomie, Tariq Ramadan ? »

Ce passage du livre est titré par l’auteur « Frères ennemis ». Frères, oui. Ostensiblement, Eric Zemmour fait de Tariq Ramadan son double. Presque son jumeau. D’ailleurs, lors d’un débat télé, deux ans plus tard, lorsque Ramadan évoque le rejet, en France, des arabo-musulmans sur la base de leur simple faciès, Zemmour lui dira : « C’est faux, M. Ramadan, j’ai le même faciès que vous. » Et, quelques minutes plus tard, l’invitant à se rebaptiser « Eric » au lieu de « Tariq » il insiste : « Oui, j’ai la même tête que vous. »

Ce n’est même pas une « bromance » (romance fraternelle) que Zemmour cherche à dessiner, c’est une fusion. Eric Ramadan, Tariq Zemmour, un seul visage, et surtout une seule obsession : maintenir la tradition, rejeter les Lumières, garder les femmes sous emprise.  On pourra appeler cela l’islamo-zemmourisme.