Pas si facile de trouver un équilibre entre mes cultures d’accueil et d’origine. Un équilibre à l’image de mes prénoms, sans assimilation.
autoportrait par Ahouefa publié sur le site la-zep.fr le 22 02 2021
Jusqu’à 16 ans, j’ai eu l’impression de devoir mériter ma place. Même lorsque j’avais l’impression d’avoir coché toutes les cases de l’insertion sociale (un bac mention très bien, une double licence en cours, des engagements associatifs…) et professionnelle.
Née au Bénin, je suis en France depuis l’âge de 5 ans. L’impression de ne pas avoir la bonne couleur de passeport s’est manifestée très tôt et, à cet âge-là, cela représente bien plus qu’une simple pièce d’identité. Les questions autour de mon identité d’immigrée ont émergé au gré des multiples rendez-vous à la préfecture avec ma mère. Je me souviens par exemple de l’inquiétude de ne pas recevoir mon DCEM (document de circulation pour étranger mineur) à temps pour participer aux voyages scolaires. On ne réalise pas à quel point un simple bout de papier permet l’accès à des éléments essentiels de la vie.
J’ai donc souvent eu le sentiment que je devais mériter ma place en France, le tout sans pour autant « déranger ». Je m’imposais un comportement irréprochable mais surtout de ne pas faire trop de « bruit », pour ne pas me faire remarquer. Et l’impression de devoir en faire deux fois plus pour « mériter la bonne couleur de document d’identité ». De devoir me battre pour être une « bonne Française ». Ça passait pour moi, jusqu’au lycée, par l’obtention de bons résultats scolaires.
Ahouefa se traduit par « paix dans la maison »
Alors que je ne devrais pas avoir un parcours extraordinaire pour me sentir légitime. J’ai 19 ans aujourd’hui et mes prénoms font le pont entre le pays d’où je viens et le pays où je vis. Pour l’essentiel de mes relations avec l’école et les services de l’État, je m’appelle Christiane. Ahouefa est mon troisième prénom, celui qui circule depuis deux ans dans mon entourage et mes nouvelles rencontres.
Ma mère m’appelait déjà Ahouefa à la maison mais j’ai voulu être appelée ainsi car il a beaucoup plus de signification et me permet d’embrasser mes origines. Ahouefa, c’est un prénom issu de l’ethnie mina et se traduit par « paix dans la maison ». Il me renvoie plus intimement à mon histoire familiale. C’est un prénom donné à un enfant dont les parents espèrent qu’il apportera douceur, apaisement et réconciliation autour de lui. Ça m’a notamment permis de me réconcilier avec mon identité d’immigrée malgré les stigmates qui ont pu y être accolés.
Assimilation ? Nous ne sommes pas des êtres déracinés !
Je suis heureuse de pouvoir jongler entre ces deux facettes de ce que je suis. Et non, mon envie de garder un lien avec ma culture d’origine n’est pas une provocation. Même si mes souvenirs du Bénin sont parcellaires et nourris essentiellement par des photos, je refuse l’assimilation culturelle complète. Si les Français légitiment le droit d’être attachés à leurs racines culturelles, je dois pouvoir le faire aussi hors de mon territoire de naissance non ? Nous ne sommes pas des êtres déracinés ! Ce n’est pas nécessaire pour faire partie de la communauté nationale. Je ne céderai pas à la demande d’assimilation complète.
Étant arrivée tôt, mon intégration a été facilitée puisque toute ma scolarité a été effectuée ici. Aujourd’hui, je me sens plutôt bien intégrée : plus encore, je suis en études d’histoire et de sciences politiques. Je ne peux pas faire mieux en terme de connaissance du pays ! Les seuls moments où je remets en question mon intégration sont lors de mes rencontres avec les services administratifs de l’État.
Mon intégration est aussi une mobilisation
Cette intégration passe aussi par le droit que je me suis donnée de me mobiliser pour des enjeux politiques et sociaux de mon pays d’accueil ! Même si les adultes de ma famille me disent (encore) : « Tu n’es pas chez toi, fais tes études et ne t’occupe pas de ça. »
Il m’a fallu du temps pour me le dire. Et pour me convaincre que peu importe que tu sois née ici ou pas, ou comment tu t’appelles, les décisions politiques ont un impact sur ta vie et la construction de ton avenir. Quand je me rends en manifestation pour défendre le service public, c’est aussi pour permettre aux étrangers de bénéficier d’un accueil plus digne lorsqu’ils sont confrontés au service de l’État. Le mépris des usagers m’a tellement marquée qu’à 17 ans, j’ai dû envoyer plusieurs mails de réclamations concernant les conditions d’accueil des étrangers en préfecture. Et, pour ma mère, nos démarches impliquaient aussi des difficultés d’accès à l’emploi qui nous ont rendu plus compliqué l’accès à un logement décent.
Montrer aux jeunes non-Français d’autres canaux d’expression que le vote
Quand je manifeste contre les violences policières, c’est aussi parce que les étrangers sont très vulnérables face aux contrôles de police et cela conduit dans certains cas à l’expulsion : la double peine. Quand je m’engage en faveur de l’égalité des chances et de la promotion de l’engagement citoyen, c’est aussi pour montrer aux jeunes non-Français qu’ils ont des canaux d’action et d’expression hors du vote. Et, les sujets pour lesquels je me mobilise sont les mêmes que ceux de mes amis nés ici.
Il m’a fallu mettre de la distance entre la manière dont l’administration me définit et ce que cela implique dans l’imaginaire collectif (l’immigré qui doit être nécessairement reconnaissant d’avoir trouvé refuge dans le pays d’accueil et rester silencieux même en cas d’injustice). Le « bon migrant » pour bon nombre de nos hommes et femmes politiques, c’est celui qui se tait et qui chante à la France son amour. Même lorsqu’elle s’écarte des valeurs qu’elle entend incarner. Il m’en a fallu du temps pour accepter mes deux prénoms, mes deux identités. Mais, aujourd’hui, je refuse de fermer les yeux quand la République dans laquelle j’ai grandi ne tient pas ses promesses de liberté, d’égalité et de fraternité.
Ahouefa, 19 ans, étudiante, Cergy
Crédit photo © Ahouefa