Ce résistant durant la seconde guerre mondiale, arrêté plusieurs fois mais qui s’est toujours fait la belle, a pendant des années sillonné l’Europe pour raconter son histoire. Il est décédé à l’âge de 94 ans.
article par Nolwenn Cosson (avec C.CH.) publié sur le site le parisien.fr le 26 05 2020
Il était le dernier survivant de la communauté des voyageurs internés au camp de Linas-Montlhéry durant la Seconde Guerre mondiale. Un symbole pour toute une population. Raymond Gurême, 94 ans, est décédé ce dimanche à l’hôpital d’Arpajon.
Après des années de silence, c’est dans le livre « Interdit aux nomades » publié en 2011 qu’il raconte son histoire et devient dans la foulée une figure emblématique de la communauté tsigane. « J’ai tout à coup eu envie de témoigner pour qu’on n’oublie pas ce que les voyageurs ont fait pour la France », confiait-il en 2012.
Un héros de bande dessinée
Son récit démarre le 4 octobre 1940. Alors âgé de 14 ans, celui qui sillonnait avec ses parents et ses huit frères et sœurs les villages de France avec leur cirque et le cinéma ambulant est arrêté près de Rouen. Toute sa famille est internée pendant un et demi dans un camp situé à Linas-Montlhéry. Acrobate, il s’en échappe à deux reprises. Mais son périple se poursuit. Arrêté pour un premier acte de résistance contre l’occupant nazi, il est transféré dans des camps disciplinaires en Allemagne dont il s’évade à nouveau pour entrer dans la Résistance et participer à la libération de Paris.
« Son histoire est digne d’un héros de bande dessinée. D’un héros tout court. Beaucoup se sont reconnus en lui, dans sa soif de liberté, lâche François Lacroix, membre du collectif pour la commémoration de l’internement des Tsiganes et gens du voyage au camp de Linas-Montlhéry et ami proche de Raymond Gurême. Il a permis de faire resurgir un passé totalement oublié, celui d’un camp essonnien qui a interné 40 familles. »
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L’Essonne a marqué sa vie. Il décidera de ne plus quitter le département. Dès qu’il en a eu les moyens, il achète un terrain à Saint-Germain-lès-Arpajon et y installe sa caravane. « De là, il pouvait voir la colline où ses parents ont été internés. C’était tout un symbole pour lui », poursuit François Lacroix.
Raymond Gurême, la voix d’une histoire oubliée
Survivant de ce génocide, ce petit homme d’apparence frêle – il a perdu 20 kg durant son internement qu’il n’a jamais repris -, souvent coiffé d’un chapeau noir, a entrepris plus de 70 ans après les faits un travail acharné de témoignage dans les écoles en France et en Europe.
« La jeune génération ne doit pas oublier pour ne pas subir les atrocités qu’on a vécues, expliquait-il à l’époque. Ce n’était pas la guerre, mais de la barbarie pendant cinq ans, seulement parce qu’on vivait dans des caravanes. J’ai eu le nez cassé, le crâne défoncé à coups de crosse dans le camp de discipline en Allemagne. Mon père a été décoré en 14-18 et, en remerciement, on a été internés en 1940, surveillés par des Français, sur le sol français. »
À chaque fois, son auditoire est captivé. « Même les élèves dont les professeurs disaient qu’ils étaient difficiles restaient silencieux face à son discours, se souvient Tony, un autre ami membre du collectif. À la fin, certains venaient même nous embrasser. Ils étaient émerveillés par ce parcours extraordinaire. Par sa force. C’était un leader, un homme de cœur et très intelligent. »
L’homme assis sur une branche
En 2012, il reçoit ainsi le titre de Chevalier des arts et des lettres des mains du ministre de la Culture Frédéric Mitterrand. Et c’est sous son impulsion et celle du collectif, appuyée par le conseil départemental de l’Essonne, qu’ une stèle en hommage aux 40 familles internées voit le jour en gare de Brétigny-sur-Orge. Là où ces Tsiganes ont été débarqués avant de rejoindre à pied le camp de Linas – Montlhéry. Sur la statue, on aperçoit une branche d’arbre qui sort de la pierre avec un homme assis dessus. C’est sur une branche que l’adolescent avait passé toute une nuit pour échapper aux autorités. Un clin d’œil aussi à Raymond Gurême.