1932 : l’’enlèvement du bébé Lindbergh ou l’invention de la presse mondialisée

Malgré ces stratégies d’écriture, dans le temps des recherches de l’enfant disparu (entre le 1er mars et le 12 mai 1932) le mystère demeure et, surtout, il dure. Il dure trop, et finit par agacer. Au bout de quelques semaines, un sentiment de lassitude commence à s’exprimer, non seulement face au piétinement de l’enquête mais encore face à l’accumulation de messages qui ne produisent pas de sens ni de récit. Dans L’Intransigeant, par exemple, on se met à écrire qu’« on ne sait toujours rien » le 12 mars, et on commence à compter les jours à partir du 16 mars : « Depuis 13 jours, le fils de Lindbergh a disparu ». En conséquence, à partir du 25 avril, un journaliste unique, Pierre Causse, prend en charge le traitement de l’affaire à travers des articles plus longs et rédigés qui côtoient les nouvelles de dernière heure sur une même page. Sa première intervention, en une, porte ce titre significatif de la lassitude générale : « Où est le fils Lindbergh ? Enlevé depuis 53 jours… Chaque jour ajoute un chapitre au tragique roman ». Toutes les clés sont livrées par ce titre : puisque le mystère dure trop et que le trop-plein d’informations quotidiennes ne fait qu’ajouter à l’énigme, il faut l’inscrire dans des modèles littéraires et des formes de récit connues : ici, le roman policier et la tragédie. Ce nouveau régime d’écriture, que nous nommons littérarisation, se présente explicitement comme une compensation des défauts de l’information en continu.

Reconfigurations morales et politiques

Le procès du kidnappeur offre d’autres possibilités, que la presse traitera avec délectation. Elle fait les portraits des protagonistes, en instillant divers récits parallèles censés entretenir l’intérêt des lecteurs. Quelque chose de l’ordre de la médaille à deux faces s’impose aux commentateurs. Ceux-ci hasardent même un renversement dans la dénomination : l’« affaire Lindbergh » devient l’« affaire Hauptmann », dans Détective (6 avril 1935), un basculement qui contribue à placer en vis-à-vis les deux personnages. Cette scène judiciaire n’évacue pas, au contraire, la figure de Lindbergh ; elle permet au parallélisme victime/accusé de surgir avec force. Le nom de Lindbergh ne tarde d’ailleurs pas à réapparaître : après avoir titré « Le procès Hauptmann », Paris-Soir tâtonne et tente le surtitre « Le Procès Hauptmann-Lindbergh » (9 janvier 1935).