« La Voix des sans-voix » : le destin tragique des migrants qui ont façonné l’histoire de la Martinique

C’est un long voyage dans une histoire encore largement méconnue, celle des dizaines de milliers d’hommes et de femmes qui se sont installés en Martinique depuis le milieu du XIXe siècle. Mise en ligne, en janvier, sur le site de Martinique La 1ère et sur France.tv, diffusée ensuite sur les écrans télé, la série webdocumentaire La Voix des sans-voix raconte la vie de ces migrants qui se sont exilés en terre martiniquaise après l’abolition de l’esclavage, en 1848. Nourrie de photos et de films d’archives, cette grande traversée de l’histoire de l’île est le premier contenu du réseau outre-mer qui a été totalement pensé, écrit et réalisé sur place.

Article par Arianne Chemin publié sur le site lemonde.fr , le 09 05 2023

Composée de dix-huit épisodes, cette série historique retrace le destin souvent tragique des Indiens, des Africains et des Chinois, puis des Syriens, des Libanais, des Caribéens ou des Italiens qui ont façonné l’histoire de l’île. De l’« engagisme », un mode de recrutement aboli en 1884, qui consistait à remplacer les esclaves affranchis par des travailleurs recrutés à l’étranger, aux discours d’exclusion envers les immigrés tenus, dans les années 1980 et 1990, au nom de l’insécurité et de l’identité nationale, le webdocumentaire saisit avec nuance la manière dont une société longtemps régie par une hiérarchie sociale et raciale héritée de l’esclavage a accueilli − et souvent rejeté − ces travailleurs venus d’ailleurs.

Ecrit et réalisé par la journaliste Valérie Patole, il est construit autour des échanges épistolaires de trois femmes martiniquaises : Gabrielle, une esclave affranchie devenue écrivaine publique qui, dans les années 1850, raconte, dans ses lettres à une amie de Sainte Lucie, les soubresauts de la Martinique postabolitionniste ; sa petite-fille Tess, une artiste qui narre l’histoire des immigrés de l’entre-deux-guerres et des années 1950, 1960 et 1970 ; et la fille adoptive de Tess, Marie, une étudiante qui s’intéresse à la vie des migrants qui rejoignent l’île à partir des années 1980.

« Traces immatérielles »

Ponctués de témoignages recueillis auprès de descendants de migrants martiniquais, ces récits reconstruisent peu à peu la « voix des sans-voix » qui désigne « la transmission entre générations des histoires d’un autre temps, des fragments chaotiques qui font la grande histoire », explique Marie, l’un des trois personnages de la série. « Depuis la fin des années 1990, des chercheurs observent ces traces immatérielles, ces échanges invisibles qui se transmettent d’une génération à l’autre, constate-t-elle. La mémoire peut se perdre, mais elle sait aussi se redécouvrir, se transformer. »

Le webdocumentaire se conclut par de longs − et passionnants − entretiens avec des chercheurs. Filmés sur le site de l’habitation Fond Rousseau, une distillerie construite au XVIIe siècle dans une commune qui porte aujourd’hui le nom de l’abolitionniste Victor Schœlcher (1804-1893), l’ethnologue Gerry L’Etang, l’historien Gilbert Pago, la sociologue Juliette Sméralda, le professeur de créole Jean-Claude Louis-Sidney, l’historienne Geneviève Leti, l’anthropologue Isabelle Dubost, le chercheur Dimitri Béchacq et le géographe Cédric Audebert évoquent le paysage économique, social et politique qui a accompagné, au fil des décennies, l’histoire de ces migrants qui sont longtemps restés les invisibles de la Martinique.

 

La Voix des sans-voix, série webdocumentaire réalisée par Valérie Patole (Fr., 2023, 18 × 15 à 20 minutes). Disponible en ligne sur France.tv et sur le site de Martinique La 1ère. Diffusé sur les chaînes du réseau La 1ère, en trois saisons.