Je suis ici, à Manhattan, mais je suis là-bas, dans la salle de rédaction de Charlie, et aussi, parallèlement, au Bataclan et aux terrasses de café : l’horreur ne se mesure pas au nombre de ceux qu’elle emprisonne. Je sens dans Manhattan l’odeur de la poudre, les corps morts autour des survivants et sur eux, je redécouvre avec eux mes blessures, je traverse cette interminable antichambre entre l’extrême violence subie et la prise de conscience hébétée de cette violence. C’est dans cette antichambre qu’il est aisé, je crois, de devenir fou. Le choc est tel qu’il n’y a plus de réalité – ou alors, il n’y a plus que ça : une réalité atrocement pure, aussi peu comestible que le cacao à 100 %. Je n’ai pas besoin d’imaginer ce qu’ont vécu les blessés, ni ce qu’ils vont désormais, à l’hôpital et plus tard, devoir supporter, accepter, pour la plupart surmonter. Ils marcheront moins bien, auront la mâchoire difficile, les bras ou les mains handicapés. Cependant, tout albatros blessé qu’ils soient, ils recommenceront à voler vers des rêves fragiles mais renouvelés. Tout progrès et tout plaisir obtenus seront les résultats d’une grande, quoique petite, aventure. La survie mérite d’être vécue. Comme mes amis touchés et survivants de Charlie, je suis l’un d’eux.
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