Théâtre : “Bad Mama” brise les préjugés sur les quartiers.

C’est bien plus qu’une pièce de théâtre sur la prévention de la radicalisation. Ce 5 juillet, dans l’auditorium rempli de l’auberge Yves Robert dans le 18e arrondissement à Paris, les comédiens amateurs ont réussi leur première représentation de Bad Mama, une comédie loufoque, façon théâtre de boulevard à la sauce Ma cité va craquer.

article par Aziz Oguz publié sur le site dailleuretdici.news,  juillet 2021

C’est bien plus qu’une pièce de théâtre sur la prévention de la radicalisation. Ce 5 juillet, dans l’auditorium rempli de l’auberge Yves Robert dans le 18arrondissement à Paris, les comédiens amateurs ont réussi leur première représentation de Bad Mama, une comédie loufoque, façon théâtre de boulevard à la sauce Ma cité va craquer.

Metteur en scène de « Bad Mama », Farid Abdelkrim respire enfin. L’acteur professionnel travaille depuis plus de deux ans et demi avec des jeunes et des mères de famille du nord-est parisien pour monter ce spectacle, co-écrit avec ces participants. « Le plus jeune acteur a 14 ans, la plus âgée a 62 ans, c’est une belle aventure humaine », souligne Farid Abdelkrim, fier du travail accompli.

 « Je ne suis pas raciste »

Pour la plupart d’entre eux, ils montaient pour la première fois sur scène. Âgée de 17 ans, Halima a poussé un grand ouf de soulagement. Son cœur a battu à mille à l’heure avant la représentation. « Le matin, j’avais tellement mal au ventre que j’ai cru que je n’allais jamais y arriver. En coulisse, on m’a beaucoup aidé pour canaliser mon stress. Après la première scène, je me suis libérée », confie la lycéenne après cette première.

Les personnages sont délibérément caricaturaux, à la manière d’une pièce de Molière. Il y a le flic véreux, la politicienne opportuniste, la maman africaine à la tête du trafic de la cité ou le journaliste télé sensationnaliste. « Je tiens à préciser que je ne suis pas raciste », sourit Charles, après la pièce, provoquant les rires de la salle. Le jeune homme a joué un suprématiste blanc habillé en officier nazi, fort inspiré d’un chroniqueur de la chaîne Cnews.

En gestation depuis près de trois ans, le parcours de la pièce a été mouvementé. « Cela n’a pas été simple de monter le projet parce qu’il y a eu la Covid entre temps, raconte Farid Abdelkrim, qui a coordonné le spectacle de début à la fin, organisant plusieurs résidences au théâtre de Nantes d’où il est originaire. Il y a eu des ruptures, des répétitions en visioconférence. Des jeunes ne sont pas allé au bout du projet. Ce soir, certains d’entre eux étaient dans la salle. Ils nous ont félicité pour le spectacle. Ils étaient fiers de ce qu’on avait fait », se réjouit le comédien professionnel.

« Au début, on pensait qu’on finirait à dix, mais on a quasiment tenu un groupe de vingt-cinq personnes pour ce projet. Certains partaient, d’autres arrivaient. Même si un jeune ne reste qu’un temps, ce n’est jamais un échec. C’est toujours une expérience », positive Jérôme Disle, directeur d’Espoir 18, association qui gère sept structures jeunesse dans le 18e et 19e arrondissement de Paris, à l’origine du projet « Ensemble par l’art, radicalisons la prévention » dans laquelle s’inscrit la pièce de théâtre. Depuis 2019, le programme inclut aussi des ateliers vidéo, dessin, graphisme et culinaire. Des jeunes ont notamment réalisé plusieurs vidéos sur le terrorisme, les caricatures, la religion, la double culture ou l’école.

« Prendre le temps d’écouter les jeunes »

Des sujets que l’on retrouve dans Bad Mama. « Au-delà de la thématique imposée de la radicalisation, on a voulu mettre le paquet sur la culture dans la prévention. On a voulu traiter de sujets sérieux sans se prendre au sérieux », résume Farid Abdelkrim. Âgé d’une cinquantaine d’années, l’acteur a grandi dans un quartier populaire à Nantes. A l’âge de 18 ans, après un drame, il s’est rapproché des Frères musulmans devenant lui-même un prédicateur. Mais petit à petit, il n’a plus trouvé de sens dans ce qu’il faisait. Et il y a plus d’une dizaine d’années, il a tourné le dos au mouvement religieux pour devenir comédien. Il est revenu sur ce cheminement dans le livre « Pourquoi j’ai cessé d’être islamiste », publié en 2015.

« C’est un vrai bon », dit de lui Jérôme Disle, le responsable d’Espoir 18, ravi du travail accompli. « Le but, c’était d’amener les jeunes à prendre confiance par l’art. On a voulu qu’ils prennent consciences des enjeux sociétaux. Dans la pièce, on parle de racisme, de rapports avec la police, de radicalisation… Il faut prendre le temps d’écouter les jeunes sur ces sujets. Et de leur faire confiance », précise le directeur associatif. Des temps d’échanges ont été pensé pour nourrir la réflexion des jeunes. Après l’assassinat de Samuel Paty, en octobre dernier, les jeunes et les femmes des ateliers ont débattu sans tabou des caricatures. Des débats ont également été organisés avec l’islamologue et enseignant Rachid Benzine, l’ancien footballeur Éric Cantona ou encore avec Tareq Oubrou, l’imam de la grande mosquée de Bordeaux.

Après cette première sur scène, les comédiens amateurs vont entamer une tournée en France : des représentations sont prévus d’ici l’année prochaine à Paris, Nantes, Marseille, Nice, Brest ou encore Strasbourg. L’été 2022, ils vont même vivre le rêve américain : la troupe jouera Bad Mama au Canada et aux États-Unis. Une belle consécration pour ces comédiens amateurs.

Aziz Oguz