Pourquoi la mosquée al-Rawda de Bir al-Abd, située dans le Nord-Sinaï en Égypte, a-t-elle fait l’objet d’un attentat qui a causé la mort, vendredi 25 novembre, de 305 personnes dont 27 enfants ? Tout porte à croire que le fait qu’elle soit fréquentée par des musulmans soufis est à l’origine de cette attaque. Article de Bruno Bouvet dans La Croix
En effet, même s’il ne l’a pas officiellement revendiqué, Daech voue une haine aux partisans du soufisme qui expliquerait l’attentat. Et qui avait déjà conduit, en novembre 2016, le groupe terroriste à tuer le prédicateur soufi Suleiman Abou Harraz aux alentours de la ville d’El-Arich, au motif qu’il pratiquait la sorcellerie.
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Ne plus faire qu’un avec Dieu
Les extrémistes musulmans reprochent aux soufis, qu’ils ont moult fois attaqué par le passé en Égypte comme au Pakistan, de gommer la distinction – fondamentale dans l’islam – entre Dieu et l’homme. En effet, le but déclaré du soufi est de s’immerger en Dieu au point de ne plus faire qu’un avec lui.
Dans cette branche traditionnelle de l’islam – aussi bien sunnite que chiite – qu’est le soufisme (le mot viendrait de l’arabe safa : « limpidité »), ses adeptes cherchent un chemin spirituel personnel, jalonné d’expériences mystiques, d’élévation, voire d’ascèse. Cet islam de paix, tourné vers l’autre, est aux antipodes de l’islam guerrier, prôné par les islamistes qui lui reprochent sa dimension ésotérique et son caractère hérétique.
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Ainsi, l’Iranien Abu Yazid Bistami (mort vers 875) raconte-t-il l’expérience mystique fulgurante qu’il a vécue. « Au prix d’une ascèse forcenée, il entame un voyage initiatique et voit son être dialoguer avec Dieu, se refléter en Lui à tel point qu’il y a substitution des deux personnes », raconte Éric Geoffroy, soufi lui-même, dans un ouvrage paru sur le sujet en 2013 aux Éditions Eyrolles. Et lorsque quelqu’un frappe à sa porte et le demande, le grand mystique peut répondre : « Non, il n’y a que Dieu dans cette maison. » La présence divine a annihilé en lui l’ego humain ordinaire.
Dompter le « moi »
Comme l’islam en général, le soufisme a pour objectif la soumission à la volonté de Dieu et la préparation pour la rencontre attendue avec lui. Mais, plus que les autres musulmans, les soufis insistent sur la nécessité de dompter en eux le nafs, le « moi » égoïste, fréquemment comparé à un cheval fougueux, et influencé par Satan.
Dans leur combat quotidien, les soufis s’appuient sur un hadith (parole prêtée au Prophète) comparant le « petit djihad », à mener sur les champs de bataille contre les ennemis de l’islam, avec le « grand djihad », intérieur celui-là. Ce n’est qu’une fois que le nafs est maîtrisé qu’une place est libérée pour Dieu dans le cœur du croyant et qu’une rencontre, un dialogue deviennent alors possibles avec lui.
« Le soufi s’élève alors vers ce Dieu qui est également Absolu, Vérité et Unité, remontant le long d’une échelle intérieure ponctuée de stations (maqam), prenant conscience que la Création dans sa totalité n’est qu’une manifestation de l’Incréé. Il goûte alors à l’état d’annihilation en Dieu », écrit Thierry Zarcone, dans Le Soufisme, voie mystique de l’islam (Gallimard, La Découverte). Une remontée parfois décrite comme « extase » ou « transe », pouvant prendre la forme d’une attraction « vers le haut » ou « vers l’intérieur », menant vers Dieu sous la forme de cercles concentriques…
Le soufisme s’est structuré à partir du XIIe siècle sous la forme de confréries (tarîqa), systématisant les doctrines et les expériences des premiers « maîtres » (cheikh) : Râbi’a, Bistami, puis Ibn’Arabî (mort en 1240) et surtout Rûmî, fondateur à Konya, en Turquie, de la confrérie des mevlevis (ou derviches tourneurs). Les tombeaux des saints de la confrérie sont également vénérés et deviennent lieux de pèlerinage ou de rassemblements festifs (moussem). Élitiste au départ, le soufisme se fait aussi populaire, coloré de traditions différentes selon les régions du monde où il est implanté.