Sans bac ni brevet, Abdelaali El Badaoui, l’infirmier devenu entrepreneur modèle dans les quartiers

PORTRAIT// Agent hospitalier, infirmier puis entrepreneur, Abdelaali El Badaoui a fait de son expérience dans le milieu médical un moteur pour lutter contre « les inégalités sociales de santé ». Son association Banlieues Santé a été très active pendant la pandémie de Covid-19

article publié sur le site start.lesechos.fr , le 03 09 2021 

En mars 2020, en plein cœur de la première vague, Banlieues Santé se fait un nom en diffusant des vidéos expliquant les gestes barrières dans une cinquantaine de langues différentes. Elles s’avéreront très utiles pour la prévention sanitaire dans les quartiers populaires, les plus durement touchés par le coronavirus.

https://twitter.com/BANLIEUESANTE/status/1235198772914900993

Colis alimentaires, kits d’hygiène ou formation en ligne d’ « ambassadeurs Covid » ensuite chargés de diffuser les messages de prévention sanitaire : l’association basée à Bobigny (Seine-Saint-Denis) a depuis multiplié les initiatives sur le front de la lutte contre la pandémie. « Nos besoins ont été amplifiés pendant le Covid, on n’avait rien du tout », témoigne Mimouna Hadjam, responsable des activités de l’association Africa 93. Pour elle, Banlieues Santé « tombait très bien ».

500.000 personnes touchées

« En 2020, on a touché 500.000 personnes », estime Abdelaali El Badaoui, qui s’appuie sur un tissu de 350 associations locales. Chemise claire, pantalon bleu nuit et baskets blanches, Abdelaali El Badaoui, 38 ans, arbore le parfait look du « startupeur » mais son parcours s’est fait loin des grandes écoles.

Né dans le nord de la France, il débarque à 7 ans en Seine-et-Marne avec ses parents, des bergers du sud du Maroc, et ses six frères et soeurs. A 16 ans, il intègre un hôpital pour y faire le ménage. Il y restera huit ans. « Auxiliaire de vie, brancardier, ambulancier, j’ai aussi travaillé à la morgue, au service de stérilisation…, liste ce père de deux enfants, crâne rasé, barbe taillée et large sourire. Très tôt, j’ai été confronté aux inégalités sociales de santé », confie celui dont les parents analphabètes ont eu des difficultés à comprendre les médecins.

Banlieues Santé & Banlieues School

Sans brevet des collèges ni baccalauréat, une équivalence lui permet d’intégrer une école d’infirmier. Son expérience en milieu hospitalier puis libéral forge sa conviction qu’une « vision holistique de la santé est nécessaire » : « le bien manger, la culture, l’environnement sont des déterminants de la santé à intégrer dans la prise en charge médicale », explique-t-il en servant du thé à la menthe, dans les locaux en chantier de Banlieues School, le versant éducatif de son association baptisée « Banlieues Santé ».

Face au constat de « publics dans l’angle mort de la santé », il décide dès 2006 de ramener dans les quartiers populaires médecins et infirmiers pour aller raccrocher ces populations précaires aux soins. Banlieues Santé émerge alors en Seine-et-Marne avant d’être officiellement créée en 2018. Elle compte désormais une dizaine de salariés et 5.000 bénévoles.

« Nouveau rôle modèle »

Avec le programme « Les biens aînés » lancé en octobre, l’association accompagne 160 chibanis (travailleurs immigrés maghrébins aujourd’hui à la retraite) d’un ancien foyer de Marseille. Chaque après-midi, une infirmière les reçoit en entretien individuel. Si besoin, une médiatrice les accompagne à leurs rendez-vous médicaux.

« Le projet est bien mature, on a tous les outils pour le développer ailleurs », explique Yassine Ennomany, coordinateur national de Banlieues Santé. En région parisienne, l’opération « Vue et corrigé », en partenariat avec la Fondation Rothschild et Essilor, a permis à des personnes issues de quartiers défavorisés âgées de plus de 60 ans de bénéficier d’une consultation ophtalmologique et d’une paire de lunettes.

Professionnaliser la solidarité des quartiers

Abdelaali El Badaoui « montre qu’on peut professionnaliser cette solidarité particulière et propre aux quartiers », commente Hayatte Maazouza, qui l’a rencontré lorsqu’elle était responsable du plaidoyer chez Positive Planet France. Il donne un nouveau ‘rôle modèle’ de l’entrepreneur dans les quartiers. Ce n’est pas juste avoir plein d’argent mais au contraire influencer les trajectoires des gens positivement, notamment les plus fragiles. » 

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De son côté, Yassine Ennomany loue un homme « moteur »« qui déborde d’énergie » et fait preuve d’une « grande capacité d’adaptation aux différents publics : que ce soit les institutions, les gens en situation de précarité ou les associations de proximité ».

Hyperactif, Abdelaali El Badaoui travaille sur l’ouverture d’antennes au Maroc, en Belgique ou en Côte d’Ivoire, mais il le confesse, « si demain l’organisation n’existe plus, c’est que j’ai fait mon boulot ».

Rédaction START (avec AFP)