La peur de Rushdie
A cette époque, son traducteur japonais n’a pas encore été assassiné, ni son éditeur norvégien blessé par balles, mais Rushdie a déjà peur. Tandis que des tabloïds protestent contre sa protection policière (elle coûterait trop cher au contribuable), plusieurs de ses amis de gauche l’accablent.
Lui qui est né en Inde, et qui s’est engagé pour la défense des migrants, se trouve soudain accusé de racisme. Lui qui est profondément ancré dans la tradition musulmane, se voit traité d’« islamophobe » par des intellectuels qui lui reprochent d’insulter les « déshérités ». Ces esprits progressistes ne savent sans doute pas qu’en Iran le régime des mollahs a écrasé les marxistes, les syndicalistes, les féministes…
Tout comme ils semblent ignorer que, de Bombay à Téhéran en passant par Riyad, la campagne qui vise Rushdie est organisée par des Etats puissants et de riches institutions religieuses. En Grande-Bretagne même, cette campagne est relayée par l’un de ces prédicateurs brouillons que l’on peine à prendre au sérieux jusqu’au jour où ils font couler le sang. Parmi eux, un certain Kalim Siddiqui. Cet homme à la barbe grise et aux lunettes demi-lunes, qui dirige un obscur « Institut musulman », organise à Londres des rassemblements publics où il fait voter l’exécution de l’écrivain (à main levée). Interviewé à la télévision, le prédicateur a confié : « Nous répliquons toujours, et parfois nous répliquons les premiers ».