Guêpier planétaire
La scène originelle pourrait se situer au sous-sol d’un commissariat londonien, en 1990, à la veille de Noël. Ce jour-là, l’écrivain Salman Rushdie comparaît devant un drôle de tribunal. Face à lui, plusieurs notables musulmans qui prétendent intervenir auprès du régime iranien pour faire lever la fatwa le condamnant à mort.
Invité à signer une déclaration « apaisante » dans laquelle il s’excuserait d’avoir offensé les musulmans en publiant son roman, l’auteur des Versets sataniques fait amende honorable. Comment expliquer ce geste de reddition, après lequel Rushdie ira vomir sa honte aux toilettes ? Par le profond isolement d’un homme qui se débattait seul, depuis longtemps déjà, au milieu d’un guêpier planétaire.
Au moment où Rushdie s’humilie dans ce commissariat de Londres, en effet, cela fait près de deux ans que l’ayatollah Khomeyni a mis sa tête à prix. Au Moyen-Orient, des dizaines de personnes ont trouvé la mort dans des émeutes soigneusement organisées.
Des foules immenses ont appelé à abattre « Satan Rushdie », auteur d’un livre qu’aucun manifestant n’a eu entre les mains, mais autour duquel prolifèrent mille rumeurs plus extravagantes les unes que les autres (son auteur serait un pervers sexuel, un suppôt des Américains, un agent du Mossad…). Ce roman, que l’écrivain lui-même considère comme un récit imaginaire « plein d’admiration pour le prophète de l’islam », a fait l’objet d’autodafés jusqu’au cœur de Londres.