À l’initiative de Louise El Yafi et Pierre Juston, 25 jeunes Français se revendiquent républicains laïques et universalistes. Notre État de droit demeure pour eux un sujet de premier plan.
tribune collective publiée sur le site marianne.net , le 24 03 2022
Tribune. Les chiffres sur les intentions de vote des jeunes Français à la prochaine présidentielle sont alarmants : 36 % de ceux qui iront voter le feront pour des idées d’extrême droite, 28 % voteront pour des partis d’extrême gauche et, et c’est peut-être le plus inquiétant, 58 % comptent rester couchés.
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Dans le même temps, une majorité de lycéens se déclare favorable à l’autorisation du port de signes religieux ostensibles dans les lycées et les collèges publics ainsi qu’à l’interdiction du blasphème. Par ailleurs, 43 % d’entre eux considèrent que la laïcité est discriminatoire envers au moins une religion et d’autres, certes très minoritaires, n’expriment pas de condamnation à l’égard des auteurs des attentats de janvier 2015 et/ou partagent certaines des motivations des terroristes. Il en va de même pour 33 % de ces derniers qui ne condamnent pas totalement l’assassin de Samuel Paty.
Ces chiffres nous accablent en tant que génération. Ils laissent à croire que nous serions tous soit des identitaires d’extrême droite soit des identitaires d’extrême gauche. Il n’en est rien. Une jeunesse passionnément républicaine existe. Nous en sommes le porte-voix. Il y a encore dix ans, loin de toute considération victimaire et discriminatoire, 58 % des élèves s’opposaient au port de signes religieux visibles dans l’enceinte de l’école publique. En parallèle, il y a exactement vingt ans, pas moins de 82 % des jeunes s’étaient déplacés pour faire front à Jean-Marie Le Pen.
« Certains de nos aînés cherchent à nous confiner dans les contours cadenassés des pires idéologies. »
C’est parce que nous avons conscience d’être nés avec le droit d’être absolument ce que nous voulons être, de faire l’amour avec qui et de la façon dont on le souhaite, de lire et d’écrire comme il nous plaira, de boire et manger ce dont nous avons envie et « d’emmerder Dieu » ou de croire en lui comme bon nous semble, bref d’être nés libres, que nous voulons aujourd’hui faire retentir cette voix démocrate, universaliste et véritablement laïque qui est la nôtre.
Nous avons entre 17 et 35 ans, nous sommes catholiques, juifs, musulmans, déistes, agnostiques ou athées, Français depuis plusieurs générations ou d’origine immigrée, nés ici ou ailleurs, blancs, noirs, métisses mais Français. Passionnément français, car nous considérons qu’il n’y a pas plus grand vecteur d’égalité entre tous que de, chacun, regarder dans la même direction, en conscience et en partage de la même histoire. Or, c’est dans le souvenir de cette histoire qui devrait nous fédérer que le bât blesse puisque la transmission de ses plus belles victoires à ses pires déshonneurs est aujourd’hui en déroute.
Depuis trop longtemps, certains de nos aînés cherchent à nous confiner dans les contours cadenassés des pires idéologies. Elles prennent aujourd’hui les traits d’un identitarisme pourtant ancien mais assumé ou d’un racialisme prétendument moderne tout en nous commandant de nous méfier de tout, dont l’Histoire elle-même. Au milieu de ces deux visions fantasmées des squelettes du passé, ceux, universalistes, qui se battent courageusement depuis plusieurs décennies ont été oubliés par nos pairs.
« Beaucoup ne se souviennent pas que ces libertés ont été gagnées par une autre jeunesse »
Il faut bien l’admettre, à force de n’avoir connu que la liberté, beaucoup de jeunes n’ont que mépris ou indifférence à son égard. Nombre d’entre eux ne comprennent pas que la plus grande des libertés n’est pas toujours absolue mais s’inscrit dans les limites que requiert une communauté de citoyens. D’autres, souvent les mêmes, ont perdu l’humilité qui devrait être celle de leur âge face à ceux qui ont façonné le monde libre dans lequel ils devraient être heureux de vivre. Beaucoup ne se souviennent pas que ces libertés ont été gagnées par une autre jeunesse. Peut-être d’ailleurs ne savent-ils pas que l’âge moyen dans la Résistance française était de 30 ans et qu’il descendait même à moins de 25 ans dans les maquis.
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Et alors que les derniers rescapés des camps disparaissent un par un, avec eux s’éteint aussi le souvenir de cette marque indélébile à la suite de laquelle nos aînés décidèrent de construire un monde nouveau, vierge de ghettos et de rafles. C’est en leur mémoire et parce que nous savons que nous leur devons notre liberté d’aujourd’hui, que nous refusons d’adhérer à l’une ou l’autre des facettes de la tenaille identitaire. Cette histoire dont nous devons assurer la succession n’est pas qu’ancienne car une partie de la jeunesse française a récemment détourné le regard, à pas moins de trois reprises, d’attaques mortifères qui auraient pourtant dû générer de notre part un sursaut universaliste et républicain.
Ainsi, nous avons même réussi à perdre le goût du rire puisqu’après l’ignominie du 7 janvier 2015, une certaine jeunesse n’a pas été « Charlie ». Pourtant, ce sont des jeunes, des vrais, de 76 ans (Cabu), 47 ans (Charb), 57 ans (Tignous), 73 ans (Honoré), 80 ans (Wolinski), 68 ans (Bernard Maris), 60 ans (Mustapha Ourrad) et 54 ans (Elsa Cayat) qui sont morts. Sans doute trop jeunes pour certains d’entre nous qui ont, il faut bien l’admettre, vieilli trop vite et peut-être trop capables de faire de l’humour pour nous qui n’en avons presque plus. Le même jour, la tuerie de l’Hyper Cacher aurait également dû nous rappeler à l’histoire qui nous a été à tous enseignée et au combat contre cette lèpre abominable qu’est l’antisémitisme. C’est d’ailleurs en premier à l’école Ozar Hatorah de Toulouse, il y a tout juste dix ans, que cette barbarie assassinait, sous l’étendard de l’islamisme, des êtres humains parce que juifs.
« Nous avons aussi hurlé notre colère face au massacre du 13 novembre et nous nous sommes mobilisés quand Mila, du haut de ses 16 ans, s’est fait menacer de mort et de viol. »
Survint ensuite le 13 novembre. Ce jour-là, c’est notre jeunesse qui fût visée. Parce qu’elle aimait la musique et boire des coups, parce qu’elle aimait la vie, elle l’a perdue sous les balles d’islamistes refusant que l’on jouisse d’une liberté que leurs dogmes rejettent. Là encore, ce qui aurait dû être le prétexte à une mutinerie républicaine de notre part face à l’immobilisme relativiste ou à une récupération xénophobe n’a pas véritablement eu lieu.
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Enfin, Mila a été attaquée par des fanatiques, souvent de son âge, ignorants et haineux, qui décident aujourd’hui que la liberté de faire un bras d’honneur à un Dieu légitime un musellement d’un autre âge. C’est derrière leurs écrans, à coups d’injures, d’insultes et de menaces de mort que certains de notre génération ont souhaité réduire à néant sa liberté d’expression. C’est dans le souvenir de ces dernières années que nous, signataires de cette tribune, avons conscience qu’un fascisme en vaut bien un autre. Le 11 janvier 2015, nous avons levé nos stylos aussi haut que nos larmes avaient coulé. Nous avons aussi hurlé notre colère face au massacre du 13 novembre et nous nous sommes mobilisés quand Mila, du haut de ses 16 ans, s’est fait menacer de mort et de viol.
C’est donc avec un sentiment d’urgence que nous, jeunes républicains laïques universalistes défendons farouchement aujourd’hui un État de droit qui nous protège, des principes républicains qui nous rassemblent, un universalisme qui nous égalise et une laïcité qui nous libère tous et inclut chacun tout en nous protégeant des pires fanatismes religieux. Nous œuvrerons à conserver cet héritage et nous nous inscrivons dans le sillon de ceux qui nous l’ont légué. Trop des courageux l’ayant porté ces dernières années, parfois menacés de mort, sont restés bien seuls dans ce combat. Qu’ils sachent qu’une partie de la jeunesse, que nous incarnons, est prête à reprendre le flambeau.
« Nous sommes nés libres. Nous comptons le rester. »
Nous ne nous laissons pas berner par des extrémistes qui, sous d’autres noms, ne sont que les porte-drapeaux des idéologies mortifères d’hier. Nous préférons placer ce qui nous distingue en tant qu’individus au second plan de ce qui nous rassemble en tant que citoyens. Nous reconnaissons le passé sans en faire une orthodoxie et nous respectons la République et ses principes sans la voir comme une religion d’État. Nous ne confondons pas patriotisme et xénophobie, universalisme et gommage des différences, antiracisme et retour à la race victimaire, apprentissage des erreurs du passé et flagellation continue, féminisme et misandrie ou encore laïcité et athéisme, respect des croyants et liberté de culte absolue.
Nous nous tenons au milieu de ce dualisme pervers qui voudrait nous asservir dans la distinction de chacun pour mieux nous diviser dans notre ensemble. À d’autres. Nous sommes nés libres. Nous comptons le rester.
Signataires :
Louise El Yafi, 30 ans, élève-avocate, Jezebel TV, auteure de Lettre à ma génération(L’Observatoire, 2022)
Pierre Juston, 32 ans, doctorant en droit public
Lydia Zeroug, 18 ans, Dernier Espoir
Floriane Gouget, 19 ans, projet amphi Charb à la Sorbonne
Gurvan Judas, 22 ans, céramiste, étudiant en histoire, Membre GRS 77
Cloé Bouquet, 20 ans, étudiante en khûbe A/L Ulm (Henri IV)
Ahlam Menouni, 35 ans, ingénieure, urbaniste et présidente de CommeUn
Johann Margulies, 35 ans, ingénieur, ancien professeur à Sciences Po, cofondateur de CommeUn
Assouan Bougherara, 27 ans, juriste
Guillaume Villers, 27 ans, ingénieur en informatique
Younès Ben Haddou, 18 ans, lycéen, référent du Printemps Républicain
Ibtissam Fadili, 22 ans, étudiante en mathématiques
Vincent Tisler, 29 ans, avocat
Aloïg Lang-Rousseau, 24 ans, Seine-Saint-Denis, Musicien, ingénieur du son, Mouvement Homme Animaux Nature (MHAN)
Déborah Fort, 31 ans, Parti socialiste
Augustin Belloc, 23 ans, ancien responsable pôle jeunesse GRS, co-animateur GRS 95
Raphaël Pariente, 30 ans, juriste M & A, chroniqueur chez CommeUn
Samuel Fitoussi, 24 ans, étudiant, blogueur satirique, fondateur de La Gazette de l’Étudiant
Maxime Loth, 19 ans, étudiant, Porte-parole du Printemps Républicain section Sciences Po
Emma Rafowicz, 26 ans, Responsable des jeunes socialistes
Martin Lom, 17 ans, lycéen et créateur du podcast Ex Ducere
Lucas Duval, 21 ans, militant associatif et politique (PRG)
Robinson Barbier, 27 ans, élève-avocat et militant LREM
Gaëtan Blaize, 31 ans, secrétaire national du Parti radical
Jean-Baptiste Caillet, 27 ans, secrétaire de la section PS de Meylan