Préjugés, stéréoptypes, racisme… Dans un livre collectif, seize actrices noires ou métisses françaises regrettent que la couleur de leur peau influence leur carrière. Elles prennent la plume pour témoigner dans « Noire n’est pas mon métier » qui sort ce jeudi 3 mai aux éditions du Seuil.
publié sur le site lère.francetvinfo le 03 05 2018
Très critiqué pour son manque de représentation des noirs à l’écran, le cinéma français serait particulièrement funeste pour la carrière des actrices noires. C’est ce que déplorent seize d’entre elles dans « Noire n’est pas mon métier ». Écartées de films, de castings, effacées d’affiches, cantonnées à des rôles caricaturaux, moins bien payées, essuyant remarques méprisantes et propos racistes, elles témoignent aujourd’hui dans un livre.
Aïssa Maïga, mais aussi Firmine Richard, France Zobda, Nadège Beausson-Diagne, Mata Gabin, Maïmouna Gueye, Eye Haïdara, Rachel Khan Sara Martins, Marie-Philomène Nga, Sabine Pakora, Sonia Rolland, Magaajyia Silberfeld, Shirley Souagnon, Assa Sylla et Karidja Touré font carrière dans le milieu du cinéma. Qu’elles sortent du conservatoire ou du cours Florent, qu’elles aient rêvé d’être comédiennes depuis toujours ou le soient devenues par hasard, toutes ont été confrontées aux difficultés d’être une actrice noire ou métisse en France.
Invisible pour le public
« Noire n’est pas mon métier » est une série de seize témoignages rassemblés par Aïssa Maïga. Dans le prologue de ce recueil, la comédienne née à Dakar au Sénégal liste ce qui l’a poussé à rassembler ces histoires, « ce qui blesse » : les remarques déplacées, les refus répétés, les clichés et l’idée qu’elle n’aurait pas sa place dans les histoires du cinéma français parce qu’elle est noire.
Pour preuve, ce premier rôle dans une comédie romantique décroché il y a dix ans. « Le tournage se passe bien […] Puis arrive le temps de la promotion. » Aïssa Maïga a la mauvaise surprise d’être écartée de la promo du film. Elle est tout simplement effacée de l’affiche de cette comédie dont elle tient pourtant le rôle principal féminin.
« Je suis expulsée de l’affiche, je me vois devenir invisible et en plus je suis sommée de rester docile, pire, reconnaissante. »
Aïssa Maïga
Seul le premier rôle masculin y apparaît. Un homme blanc, seul héros qui peut être visible aux yeux du public pour la production, explique-t-elle. Difficile à avaler pour la comédienne de « L’un reste, l’autre part » de Claude Berri, « Les Poupées russes » de Cédric Klapisch ou encore « L’Écume des jours » de Michel Gondry.
Des rôles caricaturaux
Firmine Richard n’a pas choisi d’être comédienne. Elle travaille au Conseil Régional de Guadeloupe quand elle se voit proposer son premier rôle. À 40 ans, elle interprète l’un des rôles principaux de « Romuald et Juliette » aux côtés de Daniel Auteuil. Femme de ménage dans ce tout premier film, Firmine Richard s’est ensuite souvent vu proposer « des rôles d’infirmière« .
Il y a aussi des chirurgiens, des chefs d’entreprise ou des avocats noirs (…) Dans la vie, on les rencontre, mais au cinéma, on ne les connaît pas!
Firmine Richard
Dans « Noire n’est pas mon métier », la comédienne guadeloupéenne raconte également avoir découvert qu’elle était 5 fois moins payée qu’une autre actrice pour « une comédie à succès » récente. « Nous étions quatre comédiennes principales. J’ai appris que l’une d’entre elles était payée cinq fois mieux que moi pour un nombre de jours de tournage équivalent. Elle-même était très choquée de découvrir la différence de salaire entre nous deux. »
Absence de reconnaissance
La couleur de leur peau influencerait donc les rôles qu’on propose aux actrices noires et métisses françaises, mais aussi et surtout, les rôles qu’on ne leur propose pas. Pour y remédier, France Zobda raconte avoir décidé de « mener le combat de la reconnaissance« . Le manque de visibilité des acteurs noirs à l’écran l’encourage à passer du côté de la production. « J’ai alors mis mon métier d’actrice entre parenthèses, écrit-elle. Je préférais être en amont des projets et non plus en aval, comme le dernier maillon d’une chaîne sans fin. (…) Je voulais raconter enfin nos imaginaires, nos histoires, proposer un regard DE la diversité et non SUR la diversité ! »
Lorsqu’elle choisit de produire des films comme « Toussaint Louverture », la productrice martiniquaise doit, une fois encore, persuader les diffuseurs que les héros noirs méritent leur place à l’écran. « Il a fallu convaincre certaines personnes de l’intérêt de parler de l’histoire de ce « héros noir » en prime time sur une chaîne nationale. La réticence venait de la crainte que le public ne soit pas au rendez-vous, car pas prêt ! » explique la productrice du « Rêve Français », film en deux parties sur le BUMIDOM, diffusé en prime time sur France 2 en mars dernier.