C’est l’une des rares chansons qu’il nous reste de la Résistance, et qui est toujours jouée lors de cérémonies officielles. Le Chant des partisans, parfois surnommé La Marseillaise de la Libération, a une histoire particulière, souvent méconnue, qui est à la hauteur de sa puissance symbolique.
article par Victor Tribot Laspière publié sur le site francemusique.fr, le 2 12 2019
Tout d’abord parce que nous devons sa naissance à une femme : Anna Marly. Née en 1917 à Petrograd (Saint-Pétersbourg) en pleine Révolution d’Octobre, son père est fusillé en 1918 et elle est contrainte de fuir son pays avec sa mère, sa sœur et sa gouvernante pour la France en 1921. Sa famille s’installe alors à Menton, dans les Alpes-Maritimes. Elle reçoit une guitare à l’âge de 13 ans, instrument qui marque le début de sa vocation pour la musique. Sergueï Prokofiev, une connaissance de sa famille, lui apprend les rudiments de la composition. Anna Marly sera également danseuse dans la troupe des Ballets russes de Monte Carlo avant de gagner Paris, où elle étudie au Conservatoire, puis se produit dans les cabarets en interprétant ses chansons. C’est à cette époque qu’elle prend le nom de Marly.
Elle épouse le baron Van Doorn en 1939 et tous deux fuient la guerre pour l’Angleterre. Engagée comme cantinière dans les Forces françaises libres (FFL) à Londres, elle met peu à peu son talent musical au service de la résistance. « Elle jouera dans le Théâtre aux armées pour les soldats britanniques, tchèques ou polonais, explique Lionel Dardenne, historien et commissaire de l’exposition Le Chant des partisans au Musée de l’Ordre de la Libération à Paris.
En 1941, en lisant un article sur le rôle des Partisans soviétiques pendant la bataille de Smolensk, Anna Marly a une « réaction viscérale et se met à écrire une chanson » poursuit Lionel Dardenne. « Elle évoque ce combat de la population civile contre l’armée allemande. C’est vraiment le mot de partisan qui l’a faite réagir. En Russie, les partisans sont le dernier rempart de la patrie en danger ».
Cette première version de la chanson est en russe et s’appelle la Marche des partisans. Elle la jouera plusieurs fois sur scène ou à la BBC, où elle remporte un franc succès. En 1942, elle joue sa chanson lors d’une soirée en présence d’Emmanuel d’Astier de la Vigerie, écrivain et journaliste qui a réussi à gagner l’Angleterre en passant par l’Espagne. Celui-ci est tout de suite séduit par la chanson et la propose à André Gillois, résistant et animateur de radio, qui cherche un indicatif pour son émission Honneur et Patrie, diffusée par la BBC entre 1940 et 1944.
Il se trouve que la mélodie sifflée de cette Marche des résistants permet d’être tout de suite identifiable sur les ondes, et ce malgré le brouillage allemand. Constatant le potentiel de la chanson, d’Astier de la Vigerie, met par la suite en relation Anna Marly avec Joseph Kessel et son neveu Maurice Druon, tous deux écrivains et fraîchement arrivés à Londres pour s’engager dans la résistance.
« Emmanuel d’Astier de la Vigerie disait qu’on ne gagnait une guerre qu’avec des chansons. En tant que fondateur du mouvement Libération Sud, il connaissait très bien les réseaux de la résistance en France occupée et les cadres de la France libre à Londres. Il savait donc bien que beaucoup de gens combattaient pour le même idéal de libération de la France mais sans se connaître pour autant. Quand il entend la chanson d’Anna Marly, il se dit « c’est cette chanson qu’il faut pour la France ! ». Il demande donc à Kessel et Druon d’écrire des paroles en français en leur précisant qu’il veut donner l’impression que le chant vienne du maquis », poursuit Lionel Dardenne.
Ce sera chose faite le 30 mai 1943, jour où la chanteuse Germaine Sablon, compagne de Joseph Kessel, enregistre une première version du Chant des partisans pour un film du cinéaste brésilien Alberto Cavalcanti. C’est d’ailleurs à la même époque qu’Anna Marly et Emmanuel d’Astier de la Vigerie écrivent la Complainte du partisan. Une chanson devenue mondialement célèbre grâce à sa reprise – The Partisan – par Leonard Cohen en 1969.
Après quelques modifications apportées au texte, d’Astier de la Vigerie l’emmène avec lui en France où il atterrit clandestinement en juillet 1943. En septembre, le texte est imprimé dans le premier numéro de la revue clandestine les Cahiers de Libération. Aucune mention n’est faite d’Anna Marly, ni de Kessel ou de Druon. C’était la volonté d’Astier de la Vigerie : rendre anonyme la chanson pour que tout le monde puisse se l’approprier. Mais à cette époque, peu de gens ont accès à la revue et malgré la présence de la mélodie à la radio et l’impression des paroles sur des tracts lancés par la Royal Air Force, le Chant des partisans demeure peu connu. Il faut attendre la Libération et la fin de la guerre pour que la chanson s’impose et devienne très populaire.
« On peut dire que c’est la Marseillaise de la Résistance, explique Lionel Dardenne. Elle est d’ailleurs toujours jouée aujourd’hui lors de cérémonies de mémoire, comme lors du transfert des cendres de Pierre Brossolette et Jean Zay au Panthéon (le 27 mai 2015, ndlr). Et c’est l’une des rares chansons qui peut à la fois être chantée par le Chœur de l’Armée française et par Léo Ferré, par exemple ».
Le Chant des partisans sera fois repris par des artistes aussi différents que Yves Montand, les Chœurs de l’Armée rouge, Johnny Halliday, Mireille Mathieu, Zebda, Camélia Jordana ou Les Stentors. « C’était le coup de génie d’Astier de la Vigerie, d’Anna Marly, de Joseph Kessel et Maurice Druon : laisser entendre que le Chant des partisans venait des profondeurs de la France occupée. Et aujourd’hui encore, cela fonctionne. La chanson n’appartient pas à un mouvement en particulier. Comme le disait Maurice Druon, elle appartient à tous ceux qui l’ont chantée » conclut Lionel Dardenne.
Après le succès de ses chansons de la France d’après-Guerre, Anna Marly part dans une grande et longue tournée en Afrique, en Amérique du Sud avant de s’installer aux Etats-Unis mais elle n’y connaît pas le succès qu’elle espérait. Le 18 juin 2000, elle interprète une dernière fois Le Chant des partisans en la cathédrale Saint-Louis des Invalides. Elle termine sa vie en Alaska, un ancien territoire russe et meurt en 2006. Le Général de Gaulle, qu’elle avait servi à table lorsqu’elle était cantinière de la France libre à Londres, disait qu’elle avait fait « de son talent une arme pour la France ».
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