Le long-métrage de Ladj Ly, en lice pour l’Oscar du meilleur film étranger, est plébiscité par les habitants de Montfermeil
-
- En lice pour l’Oscar du meilleur film étranger, Les Misérables se déroule dans une cité de Montfermeil, en Seine-Saint-Denis, même s’il a été en grande partie tourné à Clichy-sous-Bois.
- Les habitants saluent un film qui « met en avant ce qu’on vit au quotidien » et qui les emplit de « fierté ».
- L’œuvre de Ladj Ly a impulsé « une dynamique positive » et suscite des vocations parmi les jeunes du quartier.
Reportage à Montfermeil de Guillaume Novello, publié sur le site 20minutes.fr le 07 02 2020
« Mais vas-y ! Regarde, Abi, elle a hésité à aller au casting des Misérables et elle s’est retrouvée à Cannes ! » Inscrite au casting d’une série d’Arte sur le hip-hop, la jeune fille aux cheveux bouclés hésite – « j’ai peur » –, mais se résout finalement à y participer, encouragée par les encadrants de l’espace J, centre culturel pour la jeunesse à Montfermeil, en pleine effervescence ce mercredi après-midi. Des jeunes discutent, s’exclament, s’entraînent à manier un appareil photo, notamment en prenant en photo l’auteur de ces lignes.Le film Les Misérables, en course ce dimanche pour l’Oscar du meilleur film étranger, « a lancé une dynamique positive », explique-t-on à l’Espace J où une partie du casting du film de Ladj Ly s’est d’ailleurs déroulé. « C’est clair qu’il y a des jeunes qui veulent faire du cinéma leur métier, constate un encadrant. Avec ce film, ils ont découvert quelque chose et ça nous fait plaisir de voir les jeunes s’investir. »« C’est un film d’espoir »
« Il y a une fierté car c’est une production locale, un gars local, des acteurs locaux », ajoute le maire Xavier Lemoine (Parti chrétien démocrate), qui reçoit dans son bureau avec au mur une grande vue aérienne de Montfermeil. « C’est un film puissant, du point de vue cinématographique, juste, car il n’est pas manichéen, et vrai parce que c’est comme ça que c’était il y a quinze ans. » Il y a quinze ans, c’étaient le décès de Zyed Benna et Bouna Traoré dans la commune voisine de Clichy-sous-Bois et les émeutes qui ont, entre autres, enflammées le grand ensemble des Bosquets à Montfermeil.
« C’est un film d’espoir, poursuit le maire, car on peut regarder il y a quinze ans ce qu’étaient les choses et comment collectivement, nous avons pu changer radicalement la situation. » Et, en effet, aujourd’hui, la résidence des Bosquets, où est censé se dérouler Les Misérables a presque complètement disparu, il ne reste plus que le bâtiment B5, dont la destruction est prévue pour l’été prochain. Les grandes barres ont été remplacées par de petits immeubles de 3-4 étages en locatif social. C’est dans l’un d’entre eux qu’habite Mousba Harb. Cette figure du quartier, qui a longtemps vécu aux Bosquets avant de déménager en 2011, fait une apparition dans Les Misérables dans le rôle de la mère de Gwada, l’un des trois policiers. « C’est la Simone Signoret sénégalaise ! », salue d’ailleurs Xavier Lemoine.
En ce début d’après-midi, Mousba Harb reçoit les visiteurs à la chaîne dans son salon décoré d’un impressionnant aquarium. Plus tôt, deux journalistes américains sont ainsi venus pour un reportage télé. Cette célébrité internationale, elle la doit évidemment à Ladj Ly, qu’elle « connaît depuis tout petit ». « J’ai fait trois films avec lui, le premier était un documentaire, le deuxième était un film avec JR [l’artiste plasticien], et le dernier c’était Les Misérables, raconte-t-elle. C’est un grand succès et un grand changement. Tous les jeunes veulent jouer dans ses films. » Intarissable sur Ladj Ly, « ce fils qui a réussi » et qui vient toujours discuter avec elle dans son salon, Mousba Harb rappelle « cette fierté » qu’a procurée le film qui fait « tellement chaud au cœur ».
Cette fierté est également ressentie par Sonia 17 ans : « Les acteurs sont mes voisins, j’étais à l’école avec certains d’entre eux ». « La première fois que j’ai vu le film, abonde Imane, 19 ans, j’ai ressenti de l’émotion, je me suis sentie valorisée. » Mais surtout ce qui a marqué les deux jeunes filles, c’est le réalisme des Misérables. « Le film met en avant ce qu’on vit au quotidien », témoigne Imane. « Ça se produit dans la vie réelle, le film reflète la réalité, appuie Sonia. Il exprime les injustices dont sont victimes les gens du quartier. » Mireille, 80 ans, rencontrée à l’arrêt du tram T4, n’a pas vu Les Misérables mais espère qu’il « montre Monterfemeil en bien ». En tout cas, celle qui habite le quartier pavillonnaire de Franceville depuis une quinzaine d’années, a « très envie de le voir car ça concerne la commune ».
Le FC Montfermeil à Hollywood
Pour porter haut les couleurs de Montfermeil et soutenir Ladj Ly aux Oscars, le club de foot local a décidé de monter un projet afin d’envoyer un groupe de jeunes à Hollywood. « On a ouvert une cagnotte en ligne et on a récupéré 23.000 euros pour payer tous les billets, raconte Ahmed Hadef, président du FC Montfermeil depuis sa création, il y a une vingtaine d’années. On a aussi eu un peu d’aide de divers partenaires et de la municipalité pour payer l’hébergement et les à-côtés. » Cette délégation d’une quarantaine de personnes parrainée par Ladj Ly s’est envolée jeudi matin pour Los Angeles. « C’est un groupe mixte de 25 jeunes entre 17 et 22 ans, détaille Ahmed Hadef, avec parmi eux cinq jeunes filles de l’école de Ladj Ly qui viennent avec nous pour filmer et produire une mini-série de quelques épisodes. » Au programme, des visites culturelles, un match de foot face à un club de Los Angeles, des échanges avec d’autres quartiers, une réception au consulat…
Avec en point d’orgue, une éventuelle victoire des Misérables aux Oscars. En tout cas Mousba Harb y croit très fort : « Je sais qu’ils vont gagner, j’ai confiance. Tout ce qui est dans le film est vrai et il n’y a que la vérité qui paie. »