Le rôle des femmes jihadistes est traditionnellement sous-estimé. Dans ce domaine, comme dans bien d’autres, le groupe Etat islamique (EI) a changé les règles du jeu », estime Lydia Khalil, experte en terrorisme à l’Institut d’études australien Lowy.
Elles se disent simples « mères au foyer », « déçues » ou « repenties » du jihad mais pour leurs pays d’origine, qui refusent de les voir revenir, les femmes du « califat » moribond demeurent avant tout des militantes potentiellement très dangereuses.
Loin du cliché des épouses de jihadistes « dupées », « endoctrinées ou « forcées », elles ont été appelées à combattre ou à participer à « l’organisation d’attaques terroristes », écrit Lydia Khalil dans une analyse parue mardi, alors que Londres et Washington s’opposent avec fracas au retour de deux jeunes femmes, Shamima Begum et Hoda Muthana, aux témoignages très médiatisés.
Et quand elles sont restées à l’écart de la violence et des atrocités commises au nom de l’EI, les femmes jihadistes ont occupé une place importante aux yeux du groupe par l’éducation des enfants.
« Ce qu’on attend d’elles, c’est la pérennisation de l’idéologie par l’éducation », au sein du califat ou de façon « souterraine » dans leur pays, considère Amélie Chelly, spécialiste des islams politiques à l’Ecole des hautes études en sciences sociales(EHESS) à Paris. Cette idéologie, au « contenu extrêmement antisystème, antisémite, anti +mécréance+, anti +faux musulmans+ », préexistait à l’EI qui n’a fait que l’amplifier, dit-elle à l’AFP.
Depuis l’offensive des Forces démocratiques syriennes (FDS), alliance arabo-kurde appuyée par une coalition internationale sous commandement américain, près d’un millier d’étrangers soupçonnés d’appartenance à l’EI ont été fait prisonniers.
« Militantes acharnées »
Les femmes et plus de 2.500 enfants de jihadistes, issus de 30 pays, ont envoyés vers des camps de déplacés dans le Nord-Est syrien, sous contrôle des FDS. « Parmi la vingtaine de femmes françaises détenues dans un camp, au moins sept ou huit sont répertoriées comme extrêmement dangereuses », relève une source française proche du dossier. « Ce sont des militantes acharnées de Daech (acronyme arabe de l’EI), le cas échéant faisant régner l’ordre dans le camp contre celles qui ne respectent pas la charia », affirme cette source.
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Après avoir longtemps plaidé pour leur jugement sur place, la France n’exclut plus de rapatrier ses ressortissants devant leur risque de « dispersion » lorsque le retrait des 2000 soldats américains stationnés dans le nord-est syrien sera engagé. « Prendre la responsabilité de les faire revenir est énorme. C’est un vrai risque », concède la source proche du dossier à Paris, craignant qu’il ne soit compliqué de les juger en Europe et de les condamner au-delà de quelques années. La justice des pays occidentaux est particulièrement mal armée pour juger des femmes dont le rôle, difficilement quantifiable, aura été surtout idéologique, notamment dans les unités de police religieuse. Nombre de familles réclament de leur côté le retour de filles ou de soeurs afin qu’elles soient jugées équitablement dans leur pays et renouent avec d’autres valeurs.
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Familles « jihadophiles »
« Mais pour les familles +jihadophiles+ à la Merah (auteur d’attentats contre des enfants juifs et des militaires en 2012, ndlr) quand vous n’avez aucune autre valeur que ce discours-là depuis le berceau, c’est extrêmement rare d’en sortir », anticipe Amélie Chelly.
Contrairement aux idées reçues, les femmes ont aussi souvent été moteur dans la radicalisation d’un conjoint, d’un fils ou d’un frère, note la chercheuse de l’EHESS, en rappelant le cas d’Amédy Coulibaly, auteur de l’attaque de l’Hyper Cacher en janvier 2015 à Paris et de sa compagne Hayat Boumedienne, partie ensuite en Syrie.
Pour le sociologoque Farhad Khosrokhavar, il faut toutefois faire la distinction « entre les repenties, les endurcies, les indécises et les traumatisées ». Et même s’il n’existe « pas de modèle établi pour la déradicalisation, on ne peut pas ne pas la tenter ». Les « revenantes », une fois incarcées et jugées dans leur pays d’origine, vont aussi poser un autre problème. « Aucune femme ne (s’était) encore radicalisée en prison », souligne Géraldine Casutt, spécialiste suisse du jihad féminin, dans une interview à la chaîne France 24. « L’administration pénitentiaire s’inquiète (désormais) d’une potentielle radicalisation féminine au sein des prisons françaises », pointe-t-elle.