Bien plus qu’une construction de bric et de broc ou un divertissement : le manège de “Petit Pierre” est une utopie d’art brut, façon “palais du facteur Cheval”, et la revanche du monde intérieur de cet homme atteint d’une maladie.
Article par Alexis Magnaval publié sur le site radiofrance.fr , le 27 01 2023
“C’est un être handicapé qui a surmonté ce handicap par son intelligence, son don d’observation, son don de bricoleur et un appétit de vivre extraordinaire”, résumait l’ancienne gardienne de ce manège, Caroline Bourbonnais, dans un reportage de France 3 en 1996.
Des avions, des trains, des personnages, une Tour Eiffel en bois… Et au milieu tourne un manège. Le tout fabriqué avec des matériaux récupérés. Une fête foraine artisanale en somme, et l’œuvre d’une vie. L’actuelle gardienne du manège, la fille Bourbonnais, Sophie, décrit la “très grosse émotion” en entrant dans cet enclos : “J’ai vu moi-même des gens pleurer, même des hommes. C’est absolument magique. Ça fait un boucan d’enfer. Les gens ne savent plus où donner de la tête.” Le manège, immuable, est situé à La Fabuloserie, un musée d’art brut à Dicy en Bourgogne. Mais Sophie Bourbonnais en apporte un goût à Paris, dans l’exposition “La Fabuloserie” qu’elle a montée à la Halle-Saint-Pierre, à Montmartre.
Surmonter le syndrome de Treacher-Collins
Pierre Avezard, dit “Petit Pierre”, est né en 1909 avec le syndrome de Treacher-Collins. Il n’a ni palais, ni pavillons d’oreilles, ce qui le rend presque sourd et muet. Moqué par les autres enfants, il arrête l’école et c’est sa grande sœur Thérèse qui lui apprend à lire et à écrire.
Heureusement, ses parents lui apportent des bases affectives solides et un surnom rassurant, “Petit Pierre”. Sorti de l’école, il devient garçon-vacher (gardien des vaches) dans une ferme de son Loiret natal. “Et là, à nouveau, ses collègues se sont moqués de lui, raconte la commissaire de l’exposition. Il s’est réfugié dans le fenil de l’étable, là où il a le foin, pour dormir. Et il a commencé à inventer un système ingénieux, pour distribuer aux vaches qu’il préférait des betteraves.”
Les voyages forment le manège
Son frère Léon, ingénieur en aéronautique, est son tuteur en mécanique. Chaque année, tous les deux prennent la route pour un voyage. La maquette du Concorde, la tour Eiffel, l’Atomium à Bruxelles, le chantier de l’aérotrain proche d’Orléans… À son retour, “Petit Pierre” construit ces modèles en format miniature. La tour Eiffel en acacia, au centre du manège, mesure même plus de 20 mètres de haut.
Alors quel sens donner à ce manège ? “C’est une utopie, c’est aussi un jeu, un jeu de société, même”, analyse Sophie Bourbonnais, allusion aux gags comme celui du buveur mécanique qui arrose les visiteurs. Dans ce jardin onirique et bringuebalant, “Petit Pierre” est présent les dimanches pour accueillir les visiteurs du coin. Puis, victime d’une crise d’hémiplégie, il doit se retirer en maison de repos. Il lui est de plus en plus difficile d’entretenir son œuvre. D’autant qu’elle se fait piller à plusieurs reprises.
La difficile sauvegarde du manège
Mais en 1980, un documentaire d’Emmanuel Clot, césarisé, met en lumière la sauvegarde du manège. Son frère Léon décide de le léguer en 1987 aux Bourbonnais, un couple de collectionneurs d’art brut, qui a créé La Fabuloserie, dans l’Yonne. C’est là que le manège est déplacé, après avoir été démonté puis remonté, pièce par pièce, par des bricoleurs passionnés. “Petit Pierre” ne l’aura pas revu avant de mourir, en 1992.
La manège de “Petit Pierre” tourne encore et a inspiré des pièces de théâtre, des bandes dessinées et a même attiré l’œil de la presse internationale. Cet enclos, c’est est aussi la revanche de son monde intérieur : “Il s’est construit un monde utopique, pour pouvoir vivre bien dans un monde qui le rejetait.”