“Je suis une migrante, pas une expat !”

Après des années à l’étranger, une Britannique s’interroge sur la pertinence du mot expat. Pour elle, ce n’est rien d’autre qu’une “étiquette” qui avantage les Occidentaux en les différenciant du reste de la population étrangère d’un pays.

« On m’a collé une étiquette qui se distingue de bien d’autres en ceci qu’elle n’a pas été pour moi un frein, ni une source de discrimination. On peut même considérer qu’elle m’a avantagée.”

Depuis quinze ans, je vis en alternance entre l’Asie, l’Italie et l’Australie, ce qui me vaut une étiquette d’“expat” qui ne m’a jamais tellement convenu. Il a suffi, vers 25 ans, d’accepter un poste assorti d’un salaire dans la moyenne, à Taïwan, pour que la catégorisation commence.

Notre banque nous a alors offert un statut privilégié réservé aux expats, histoire de nous aider à “tirer le meilleur de notre vie à l’international”. Finies les files d’attente, à nous le café haut de gamme sur place, et depuis l’étranger, une ligne dédiée pour tous nos appels avec la banque.

Des algorithmes invisibles ont eu vent de ce nouveau statut, et nos messageries électroniques se sont remplies comme par magie d’invitations à des clubs de sport VIP et de pubs pour des agences de “relocalisation” [destinées à faciliter l’installation des expats dans leur nouveau lieu de vie], mettant en avant des propriétaires soucieux de ne louer qu’à des expatriés. Nous étions invités à devenir membres de clubs très fermés dans lesquels retrouver des “citoyens du monde qui [nous] ressemblent.”

Sentiment d’imposture

Cette avalanche me laissait perplexe. En Asie j’étais dans un autre monde, mais le monde des expats c’était une autre planète. Je ne dis pas que je ne me suis pas laissé emporter, parfois, au début, si grande était mon envie de tout embrasser de la vie à l’étranger.

Mais alors qu’une rhétorique anti-immigration se répandait un peu partout dans le monde, j’étais frappée par la différence de traitement abyssale entre nous les “expats” et ceux qu’on appelle les “migrants”. Cela créait pour moi un malaise, et un vaste sentiment d’imposture.

Nous avions été accueillis à bras ouverts dans nos nouveaux pays pendant que d’autres, dans des situations très semblables, se retrouvaient diabolisés.”

Expat, migrant : aucune différence

Or au fond, il n’y a aucune différence entre un expat et un migrant. Je lis ainsi dans mon dictionnaire :

  • “expatrié : personne vivant en dehors de son pays natal”;
  • “migrant : personne venue vivre de façon permanente dans un pays étranger.”

[Mais] le critère de la permanence est pour le moins contestable. Selon une étude du [cabinet de conseil] De Vere Group en 2017, 69 % des Britanniques vivant à l’étranger affirmaient leur volonté de ne jamais rentrer, alors que des travaux de l’University of Washington de Seattle montrent qu’un tiers de ceux qu’on appelle des “migrants” le font.

Les raisons qui nous ont poussés à quitter notre pays sont pour l’essentiel identiques : le travail et la qualité de vie. Comme les autres immigrés, nous grossissons les rangs de la population active et payons nos impôts sur place. Et ce n’est pas une hypothèse : selon un rapport du Migration Advisory Committee [comité consultatif sur l’immigration, qui dépend du ministère britannique de l’Intérieur] en 2018, les immigrés ont une contribution fiscale supérieure à celle des contribuables nés en Grande-Bretagne, et les étrangers originaires de l’UE sont même les plus lucratifs.

Arrogance occidentale

Ce n’est donc pas l’impermanence de mon installation qui m’a valu l’étiquette d’expat, mais mon passeport britannique. Jamais je n’ai vu un Britannique à l’étranger qualifié de migrant. Tout comme il est rare pour des étrangers installés au Royaume-Uni (surtout lorsqu’ils viennent de pays non anglophones [ou non européens]) de se faire appeler des expats.

Cette étiquette est un vestige de l’impérialisme britannique. L’arrogance occidentale et le colonialisme ont de beaux restes et, je suis bien placée pour le savoir, des bastions encore bien vivants un peu partout dans le monde.

À Hong Kong, je fréquentais un groupe mamans-enfants au Matilda Hospital, dans un édifice construit en 1907 par un banquier du Hampshire. Là, autour d’un thé MingCha, des mamans occidentales discutaient des mérites comparés des spas et du montant à verser en dessous-de-table pour faire entrer leur progéniture dans telle école, pendant que leurs amahs philippines [bonnes d’enfants] restaient dehors en attendant de récupérer des bébés en pleurs. À Dubaï, notre immeuble sur la marina avait un concierge qui me donnait du “madame”, mais qui ne savait qu’aboyer pour dire à mon chauffeur de s’approcher davantage de la porte ou à des ouvriers de disparaître. Le chauffeur et les ouvriers étaient tous originaires du sous-continent indien.

“Tu n’es pas une migrante, tu es comme nous”

À Sydney, dans un playgroup [où les enfants se retrouvent pour jouer, et les parents pour discuter], j’ai entendu des mamans déblatérer sur l’afflux de migrants en Australie. [Elles souhaitaient qu’ils s’en aillent.] “Sauf ma femme de ménage malaisienne et ma jeune fille au pair française – elles, elles peuvent rester”, précisait l’une d’elles. Quand j’ai fait remarquer que j’étais moi-même une migrante, elle a rétorqué : “Mais enfin, tu n’es pas une migrante, tu es une Pom [surnom donné par les Australiens aux Britanniques], tu es comme nous.

Je suis aujourd’hui rentrée au Royaume-Uni, et soulagée de m’être débarrassée de l’étiquette d’expat. Je n’ai qu’un souhait, qu’elle devienne obsolète.

Vivre à l’étranger a fait grandir en moi l’empathie et le respect pour tous ceux qui ont eu l’audace de tout laisser derrière eux pour partir en quête d’une nouvelle vie en Grande-Bretagne.”

Parce que je me sens plus proche d’eux que de certains Britanniques de naissance, j’aurais dû partager avec eux la même étiquette. Celle de “migrant” peut-être, de “courageux” pourquoi pas, d’“être humain” à n’en pas douter.

C’est l’une des publications les plus lues du Royaume-Uni. Lancé en 1999, le tabloïd britannique Metro s’est inspiré du journal suédois du même nom pour son modèle économique.
Gratuit, le quotidien est distribué tous les jours à l’exception des week-ends, des vacances et des jours fériés dans les transports en commun et dans les cafés des grandes aires urbaines du Royaume-Uni. Grâce à ses éditions locales, il entend notamment parler aux classes populaires des grandes villes.

Depuis 2001, Metro possède une version en ligne, et il propose depuis 2014 des articles inédits produits spécifiquement pour le web. Il appartient au groupe Associated Newspapers, qui possède également le Daily Mail et le Mail on Sunday.

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