Hostile à toute assignation raciale, Fode Sylla, ambassadeur itinérant du Sénégal et ancien président de SOS-Racisme, rappelle que tous les grands combats pour l’égalité ont été portés ensemble, Noirs et Blancs, au nom de références universelles.
tribune publiée sur le site lemonde.fr, le 18 06 2020
Tribune. Tout voir en noir ou blanc, c’est manquer la beauté du monde. Je ne revendique pas une couleur, je revendique la justice. « Le tigre ne proclame pas sa tigritude. Il bondit », a dit un jour Wole Soyinka, Prix Nobel de littérature. La justice doit réparer les inégalités et les discriminations. Elle doit punir le racisme en opinion et en action. Cela devrait lui être d’autant plus facile que le concept même de race est inutile, scandaleux et dangereux.
Je ne m’excuse pas d’être un Noir, je ne demande pas à d’autres de s’excuser pour la couleur de leur peau. La justice n’est ni la vengeance ni la revanche. Je n’ai pas de revanche à prendre contre les Blancs, aucun Blanc n’est mon ennemi. Je n’ai pas à lui demander de réparer quelque tort, passé, présent ou futur, au nom de sa couleur.
Un conseil municipal peut décider de débaptiser des noms de rues ou renvoyer des symboles dans les musées, Je préfère surtout voir s’élever des statues et des noms de rues plus nombreux en hommage à Nelson Mandela, Aimé Césaire, Angela Davis ou Manu Dibango plutôt que de voir détruits les symboles qui nous rappellent que des barbares nous ont gouvernés.
Les valeurs à défendre : tolérance, liberté et égalité.
Détruire est l’œuvre de l’ignorant, finalement une victoire de ce même barbare que l’on dénonce en employant ses méthodes. Expliquer, transmettre et éduquer est notre victoire quotidienne contre les barbares, tous les barbares. Ce qui m’insupporte au-delà de tout, c’est d’oublier ou d’effacer des tablettes de l’histoire le fait que tous les grands combats pour l’égalité ont été portés ensemble, Noirs et Blancs.
Ce fut le cas avec les compagnons de Nelson Mandela comme avec ceux de Martin Luther King. Ce fut le cas aussi lorsque les athlètes Tommie Smith et de John Carlos levèrent leurs poings gantés sur le podium des Jeux olympiques de Mexico, le 17 octobre 1968, avec l’assentiment de leur camarade australien Peter Norman. C’est ainsi que le mouvement est universel et historique et qu’il triomphe. Remplacer un racisme par un autre n’est pas une victoire. C’est le même cancer, qui frappe d’autres personnes.
Je me dois de rappeler à toute une génération qu’elle est l’héritière d’une longue et forte tradition : celle la philosophie des Lumières. Elles n’ont, bien sûr, pas éclairé tout le monde et en même temps. Elles comportent des zones d’ombre. Mais elles ont combattu pour des valeurs que nous devons continuer à défendre : tolérance, liberté et égalité. On n’a pas le droit d’entraîner une génération dans une impasse, nous devons l’aider à ne pas avoir peur et à garder l’espoir.
Le fait d’être noir ne me rend pas meilleur ou pire
La liberté est belle quand on n’assigne pas les personnes dans des cases ou dans une couleur. La liberté, c’est aussi être indifférent aux classifications, c’est être indifférent à la différence. Notre devoir, en tant qu’individus libres, c’est de prolonger la liberté. Nous devons protéger les générations futures du « grand enfermement » de la pensée unique et intolérante. On juge les gens selon leurs actes. La couleur de la peau d’un homme ne doit pas avoir « plus de signification que la couleur de ses yeux », a résumé Bob Marley dans War.
Différents combats nous inspirent par leurs valeurs et leurs intentions. Mais ce n’est pas la coupe afro ou les chaînes autour du cou qui feront de moi un Black Panther ou une Angela Davis. On est dans le déni même de l’histoire lorsqu’on se compare avec une population qui vivait il y a soixante ans dans des régimes politiques où le racisme était institutionnalisé.
Nos références à nous sont universelles, elles ne sont d’aucun pays ou d’aucune couleur. C’est notre combat. Quand je me réfère à la France, je me réfère aux Lumières, à Victor Hugo, Olympe de Gouges, Aimé Césaire… C’est dans cette culture française que, natif du Sénégal, j’ai grandi. C’est dans cette idée de la France, à travers sa culture, sa littérature, et ses symboles que j’ai forgé mon identité. La France m’a permis de la critiquer, de manifester contre les inégalités. On ne m’a pas enchaîné, mis au trou pour mes combats, je suis un militant d’une idée certaine de la France.
Les combats que ma génération a menés contre la peine de mort, contre les violences, pour le droit au logement, la parité ou la régularisation des sans-papiers, elle les a menés en tant que Français. Le fait d’être noir ne me rend pas meilleur ou pire. Je rejette les préjugés et je me méfie des « postjugés ». Je n’admets ni classification ni assignation raciales. Tout mon amour va au combat pour l’égalité et la liberté.
Fode Sylla (Ambassadeur itinérant du Sénégal, ancien président de SOS-Racisme (1992-1999), député europeen (1999-2004), membre du du Conseil économique, social et environnemental (2004-2010).)