Intégration des immigrés : parler aussi des réussites

#Editorial  « Il est devenu courant, dans le débat politique français, d’affirmer que l’« ascenseur » de l’intégration des immigrés ne fonctionne plus, en tout cas plus comme du temps où les nouveaux venus étaient polonais, italiens, espagnols ou portugais. Ce lieu commun est contestable parce qu’il « oublie » la somme de conflits, de rejets et parfois de tragédies qui ont accompagné les vagues migratoires du passé. Surtout, les discours sur « le terrible échec de l’intégration » ne résistent pas à l’examen du présent, pour peu que l’on se réfère aux statistiques de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) plutôt qu’à l’air du temps et aux stratégies politiques.
article publié sur le site lemonde.fr, le 31 03 2023

Certes, le portrait social brossé par les statisticiens dans le dossier « Immigrés et descendants d’immigrés en France », publié jeudi 30 mars, n’est pas tout rose. Les chiffres décrivent une population immigrée (7 millions de personnes, soit 10,3 % de la population) cumulant les handicaps et confinée dans les villes et les logements sociaux. Le niveau de vie moyen des immigrés est inférieur de 22 % à celui du reste de la population, et leur taux de pauvreté monétaire est deux fois plus élevé. Ils sont les plus éloignés du marché du travail, en particulier s’ils sont d’origine non européenne. Moins souvent diplômés, plus souvent chômeurs (13 % contre 7 %) que la moyenne, ils vivent plus fréquemment dans un logement suroccupé. Les derniers arrivés, africains, sont les moins bien lotis.

Le tableau change pourtant lorsqu’on s’intéresse aux descendants d’immigrés. S’ils restent en moyenne plus défavorisés socialement que le reste de la population, si certains groupes – originaires du Maghreb en particulier – souffrent d’un chômage plus élevé, d’un salaire moindre et de discrimination sur le marché du travail, la surprise vient du fait que, globalement, le niveau de diplôme de ces enfants d’immigrés et leur répartition par catégorie socioprofessionnelle sont très proches de la moyenne nationale. Un tiers des filles et fils d’ouvrier immigré deviennent cadres ou exercent une profession intermédiaire. Résultat d’une forte élévation du niveau d’éducation, cette nette ascension sociale se double d’un brassage assez rapide.

Une « dynamique de sécularisation »

Plus d’un descendant d’immigrés sur deux a un parent non immigré. La mixité des unions augmente au fil des générations et, en matière religieuse, induit une « dynamique de sécularisation ». Alors qu’une écrasante majorité d’immigrés vivant en couple ont pour conjoint un immigré, les deux tiers de leurs enfants vivent avec une personne sans ascendance migratoire. Et 90 % des descendants adultes de la troisième génération sont d’ascendance européenne. Loin des prétendues menaces d’invasion, l’immigration, selon l’expression du démographe François Héran, « n’est pas une intrusion massive, mais une infusion durable ».

Contrasté, l’ensemble de ces données incite d’abord à relancer une vigoureuse politique d’intégration – logement, éducation, lutte contre les discriminations –, aujourd’hui reléguée derrière les débats sur les flux d’immigration, nécessaires eux aussi, mais distincts. La somme de données livrée par l’Insee – soit dit en passant sans nécessité de « statistiques ethniques » – interroge aussi sur la prégnance des discours caricaturaux sur l’intégration, qui servent à justifier la xénophobie, et la difficulté du pays à valoriser ses réussites.

Les désastres de l’intégration tragiquement illustrés par les attentats islamistes ne doivent pas masquer des tendances générales plutôt encourageantes. Sur ce sujet, la naïveté constitue un danger, l’autodénigrement aussi.

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