Les réfugiés qui n’ont pas de passeport ukrainien ne bénéficient pas du statut de protection spéciale. Les témoignages de deux étudiants dont l’avenir est incertain à la Tribune de Genève.
Lorsque la première bombe russe a explosé près de la maison d’Abdennour à Kiev, il dormait. « La deuxième s’est produite à environ un kilomètre de chez moi. J’ai attrapé mon cartable et je suis parti à pied ».
Comme des milliers d’autres réfugiés, il s’est réfugié en Suisse dans l’espoir d’obtenir le fameux permis S. Et ce n’est pas sans raison : Abdennour est algérien.
Rentrer en sécurité
Le Conseil fédéral a autorisé le 11 mars le statut S, qui permet aux Ukrainiens d’obtenir rapidement une carte de séjour sans passer par la procédure d’asile traditionnelle. Le sésame les aide à travailler ou à étudier.
Qu’en est-il des personnes qui n’ont pas de passeport ukrainien ? Elles n’y ont droit que si elles séjournent légalement en Ukraine et ne sont pas en mesure de rentrer chez elles « en toute sécurité et de manière durable. »
Le désarroi a couvert le visage de Vainqueur. C’est le pseudonyme utilisé par un Congolais de 23 ans qui souhaite rester non identifié. Son cas est traité par le Secrétariat d’État aux migrations (SEM), et il ne veut prendre aucun risque.
«On nous dit qu’on peut rentrer chez nous. Mais c’est oublier que pour certains, ce n’est pas possible. Mes parents sont décédés, je n’ai plus personne au Congo. Je vais dormir où? Je n’ai nulle part où aller.»
«Nous fuyons la même guerre, mais nous n’avons pas droit à la même protection.» Vainqueur, 23 ans
La semaine dernière, nous le rencontrions à la gare de Boudry, en route pour le centre fédéral d’asile. Il espérait obtenir un permis S en un ou deux jours, comme les centaines d’Ukrainiens qui transitent par là.
Une semaine plus tard, il désespère, dans l’attente d’une décision, ballotté de centre en centre. «Nous fuyons la même guerre, mais nous n’avons pas droit à la même protection. Ce n’est pas normal.»
Des milliers d’étudiants en fuite
Nous le retrouvons jeudi dans un café neuchâtelois en compagnie d’Abdennour. Deux exilés comme oubliés par la politique d’accueil fédérale. Deux réfugiés au sort incertain, à l’image des flots d’étudiants étrangers quittant l’Ukraine.
Plus de 76’000 ressortissants d’États tiers étudiaient dans le pays. Il s’agissait pour beaucoup d’Indiens, de Nigérians ou de Marocains, attirés par le coût modéré des études et la souplesse des conditions de séjour.
L’invasion russe a provoqué la fuite de milliers d’entre eux. La Suisse n’est pas le seul pays à refuser de leur tendre les bras. Alors pourquoi l’avoir choisie?
Abdennour, qui parle français, arabe et russe, a lu sur un site d’information que le permis S n’était pas réservé aux seuls Ukrainiens. Mais l’Algérie n’étant pas en conflit, ses chances de succès sont faibles. Une certitude: il ne veut pas retourner dans son pays d’origine, où il affirme n’avoir aucun avenir.
Vainqueur ne dit pas autre chose. En 2019, il a quitté Kinshasa pour l’Ukraine. Après une année passée à apprendre le russe, il s’est lancé dans un cursus universitaire de sécurité informatique à Dnipro. Il se voyait entreprendre un master en cybersécurité.
Sa mine s’assombrit au moment de raconter la suite. La douleur de devoir partir sans sa copine, restée en Ukraine pour s’occuper de son père malade. Les bombes, le sang, les difficultés pour les étrangers de sortir du pays.
Abdennour livre un récit similaire. Il évoque ses efforts pour s’intégrer en Ukraine, l’apprentissage de la langue, un job de coiffeur pour financer ses études, sa rencontre avec une Ukrainienne. Puis cette impression de «fin du monde», cent kilomètres parcourus à pied, des heures passées sans manger ni dormir, le froid.
«Nous aussi, nous méritons une solution.» Abdennour, 24 ans
Il sort son téléphone et montre une vidéo d’une foule impressionnante. «C’est la frontière polonaise. J’ai eu de la chance, j’ai pu passer au bout de 48 heures. Un ami a attendu 76 heures.»
Aujourd’hui, il refuse de baisser les bras. Il reste en contact avec d’autres étudiants en quête d’un pays qui voudra bien les accueillir.
En attendant, des initiatives comme celle de l’Université de Genève, une des rares institutions à prendre la parole sur la question, portent un peu d’espoir : “nous rallongeons les délais d’inscription jusqu’au 30 avril dans presque toutes les filières (au lieu de fin février)”, une mésure “pour toutes et tous les étudiant-es, toutes nationalités confondues, touché-es par le conflit en Ukraine et qui se réfugient en Suisse”.
«Je comprends l’aide apportée aux Ukrainiens. Mais nous aussi, nous méritons une solution. Actuellement, on ne nous accepte pas, mais peut-être que ce sera le cas demain. Je garde espoir.»