Tirs aux pigeons
Nous obtenons alors un clivage de type apparent « progressistes vs réactionnaires », mettant en scène des représentants autoproclamés et médiatiques qui, au nom des Blancs en général, des Noirs en général, des femmes, des jeunes, des vieux, des homos, des juifs ou des musulmans en général, se lancent dans d’interminables parties de tirs aux pigeons.
Les uns et les autres de ces « groupes à défendre » n’ayant désormais rien de mieux à s’échanger que le sentiment de leur détestation mutuelle ; rien d’autre à faire en commun que se surveiller et veiller à la robustesse de leurs revendications réciproquement inconciliables.
Il n’y a qu’à allumer n’importe quel écran pour s’en faire une idée cuisante : fini les questions fondamentales lancées à l’adresse ou à l’initiative de l’ensemble du peuple français ; fini le progrès collectif, la conquête de droits sociaux et politiques universels – ces vieilles lunes ! –, nous n’avons plus rien à faire ensemble, plus rien à entretenir d’autre que des fragments de niches, des relativismes ad nauseam, auxquels les algorithmes préférentiels de nos petits smartphones sauront d’ailleurs nous renvoyer inlassablement.
Et bienvenue aux pléthores de télescopages d’opinions courtes et d’avis tranchants comme des lames, aux « sensibilités particulières » définitives et saignantes. Bienvenue aux clashs de points de vue symétriquement aveugles et assassins ; aux arbitrages de punchlines faites pour tuer ; aux ligues de défense de ceci, aux fiertés de cela ; aux index inquisiteurs pointés sur telle ou telle minorité religieuse, sexuelle ou ethnique ; aux diatribes accusatrices émanant de tel ou tel membre de ces mêmes minorités passé à son tour du côté des lyncheurs ; bienvenue à tout ce qu’il faut pour mettre le feu à la plaine, aux villes, aux barres d’immeubles et au clocher du village.