«La violence exercée par les jeunes femmes jihadistes est d’abord tournée contre elles-mêmes»

F. K. : Ces jeunes filles passent de l’extrême transgression à l’extrême rigorisme. L’islamisme radical, c’est par l’affirmation de normes surrépréssives, la promesse d’une nouvelle féminité intégrale. Dans un entretien, l’une d’elles me disait : «Je préfère accepter la polygamie plutôt que de voir mon compagnon me tromper tout le temps avec des femmes.»

On a souvent souligné l’absence du père dans le jihadisme des jeunes, est-ce le cas aussi chez les jeunes femmes ?

F. K. : Les manquements des pères marquent l’histoire d’une grande partie des femmes et des hommes engagés dans le jihadisme. Mais plus que l’absence, c’est la violence familiale qui est un facteur aggravant. Le cas de la famille Merah où règne une violence chronique en est un bon exemple. Face à la malfaisance du père mais aussi de la mère, le départ opère comme une thérapie cathartique. Après leur départ, ces jeunes ne s’adressent que très rarement à leur père, un silence impitoyable qui signifie que l’engagement jihadiste permet de se passer du père.

N’est-il pas réducteur de limiter ce choix à un traumatisme subi dans l’enfance ?

F. K. : Si une partie a subi des violences, il est vrai que toutes ne sont pas traumatisées. D’ailleurs, alors qu’on se représente souvent ces femmes comme des endoctrinées, elles ont aussi eu un rôle dans leur propre victimisation. Dans le choix du mariage «à la Daech», nous constatons in fine une réaction contre le féminisme. Le féminisme tend à penser que la femme doit enfanter tardivement. Or, en enfantant à 15 ou 16 ans, elles vont à l’inverse de cet idéal occidental. Et l’homme, réduit à sa fonction de combattant, est au service de cette maternité. C’est ce qu’on peut appeler le «détrônement de l’homme réel au nom d’un idéal de masculinité et de virilité».