Entre l’Algérie à la France, j’ai le cul entre deux pays

Algérien arrivé très jeune en France, je me suis senti rejeté, des deux côtés de la Méditerranée. Mais je crois que ma vie, elle est meilleure ici.

article publié sur le site lazep.fr, le 06 02 2020

Entre l’Algérie et la France

Enfant, j’ai su que j’étais un Français différent des autres lorsque, à la cantine, je mangeais du poisson presque tous les jours de la semaine… alors que je n’aime pas ça ! Car chez moi, ma mère met un point d’honneur à ce que la viande soit toujours halal. Je ne me suis donc jamais aventuré à choisir la viande à la place du poisson. J’ai toujours eu l’impression d’avoir le cul entre deux pays…
Je suis né à Béjaïa, en Algérie, mais je suis arrivé en France à seulement un an. J’ai vécu à Marseille dans la cité de la Maurelette jusqu’à la mort de mon père, puis j’ai déménagé dans le quartier de Saint-Louis.

Quand je retourne en Algérie, ça me fait bizarre. Parce que tout le monde dit que je ne suis pas un vrai Algérien. « Tu n’es qu’un immigré et tu n’as plus ta place dans ce pays. » Quand ça vient de ma propre famille, c’est encore plus dur de ne pas être considéré comme l’un des leurs… En France, certains me disent aussi de retourner dans « mon pays d’origine »…

En France, c’est des regards et des remarques, des petites choses
Un jour, j’étais dans mon quartier à Marseille avec mes collègues, on parlait de tout et de rien, quand une dame âgée m’a traité de « sale Arabe » et de « voleur », alors qu’on ne lui avait rien fait. Ce racisme, quand il se répète tous les jours, ça devient difficile à vivre. Ce sont souvent des remarques, des regards… Des petites choses. Par exemple, il m’est arrivé quelques fois qu’une dame protège son sac en me voyant passer à côté d’elle. Ou l’autre jour, alors que je marchais dans la rue, un couple devant moi a tout-à-coup changé de trottoir, et j’ai entendu quelque chose comme : « Je ne leur fais pas confiance. » Il est possible que ce soit plus de la peur envers les jeunes des quartiers que du racisme, je ne sais pas. Mais c’est aussi de la discrimination, et c’est assez pesant.Alors, j’ai le sentiment de n’être ni de France et ni d’Algérie. Je me sens exclu et seul.

Mais quelle chance d’avoir grandi en France
Mais bon… Je pense que si j’avais vécu en Algérie ma vie serait moins bien qu’en France. Car il ne faut pas croire, au « bled », c’est la misère et la galère. Les hôpitaux ne peuvent plus soigner tout le monde, il n’y a pas d’aide pour les plus pauvres, et comme on peut le voir en ce moment, le pays va mal. Et même si vous travaillez, comme mon cousin Hakim qui est employé dans une usine de plastique, les conditions sont dures. Il se réveille très tôt et finit très tard, tout ça pour un salaire moyen inférieur à 300 euros. Les fins de mois sont difficiles…

Moins de 300 euros (40 000 dinars algériens), c’est plus que le SMIC qui a augmenté en janvier 2020 à 25 000 dinars (188,67 euros) par mois, mais tout de même pas suffisant pour vivre dignement. Le reportage du Point revient sur la flambée des prix en Algérie, qui plonge de plus en plus de personnes dans la précarité.

Ce voyage de l’Algérie à la France a changé ma vie. J’aurais eu une vie complètement différente, et sûrement pas meilleure, si ma famille était restée là-bas. Alors, finalement, au fond de mon cœur, je sais que je préfère la France.

Ilyas, 18 ans, en formation, Marseille

Crédit photo Unsplash // CC Chris Leipelt