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La présidente de l’association antiraciste Mnemty et l’ancienne présidente de la branche tunisienne de France Terre d’Asile ont été arrêtées et placées en garde à vue en Tunisie. En pleine campagne contre les migrants africains irréguliers, le président Kaïs Saïed s’en est en pris, lundi, sans les nommer, à « des associations et des organisations » qui reçoivent, selon lui, « des sommes astronomiques de l’étranger ».
Le climat anti-migrants se renforce chaque jour en Tunisie. Les autorités tunisiennes ont désormais dans leur viseur les membres des organisations de défense des droits des migrants. Mardi 7 mai, Sherifa Riahi, l’ancienne directrice de la branche tunisienne de France Terre d’Asile (FTDA), a été placée en garde à vue pour cinq jours.
Dans un message posté mercredi sur le réseau social X, Pierre Henry, président de France Fraternités, a réagi à cette arrestation en dénonçant une « situation folle, inacceptable et d’une exceptionnelle gravité ». « Terre d’asile Tunisie a été créée en 2012 à la suite d’une mission que j’avais effectué en compagnie de l’écrivaine Anna Cataldi, nommée par l’ONU messagère de la paix. Terre d’asile Tunisie a fonctionné avec le soutien exclusif de la commission européenne, du HCR [Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU], de la coopération suisse, et différents ministères tunisiens », a-t-il détaillé.
La veille, Saadia Mosbah, présidente de l’association antiraciste Mnemty, avait déjà été arrêtée et son domicile perquisitionné. Selon des médias tunisiens, cette militante antiraciste iconique, elle-même tunisienne à la peau noire, a été arrêtée par la police pour des soupçons de « blanchiment d’argent ».
Défense des Subsahariens
Saadia Mosbah et son association avaient été en première ligne dans la défense des migrants originaires d’Afrique subsaharienne en Tunisie après un violent discours en février 2023 du président tunisien, Kaïs Saïed, dénonçant l’arrivée de « hordes de migrants clandestins » dans le cadre d’un complot « pour changer la composition démographique » du pays.
En présidant une réunion du Conseil de sécurité nationale tunisien lundi, le président tunisien Kaïs Saïed a répété que son pays « ne sera pas une terre pour implanter ces gens-là » et « veillera à ne pas être un point de passage ».
Sans les citer nommément, le chef de l’État s’en est en outre pris à « des associations et des organisations » qui reçoivent selon lui « des sommes astronomiques de l’étranger ». « Ces associations pleurnichent et versent des larmes dans les médias. La plupart de leurs responsables sont des traîtres et des mercenaires », a-t-il chargé.
« L’argent coule à flot pour ces gens-là et ceux qui prétendent les défendre », a encore accusé le président au sujet des organisations de défense des droits des migrants.
Kaïs Saïed a également évoqué l’appel d’offres publié récemment par une organisation pour héberger des migrants dans des chambres d’hôtel, note le média en ligne Business news. Selon une chercheuse tunisienne spécialiste de la migration interrogée par InfoMigrants, la publication de cet appel d’offre destinée à rechercher des chambres d’hôtels pour y loger des exilés a enflammé les réseaux sociaux et a été détournée pour alimenter la rhétorique de grand remplacement du gouvernement tunisien.
Dans ce climat d’hostilité envers les migrants et leurs soutiens, plusieurs centaines de personnes originaires d’Afrique subsaharienne ont été évacuées de force vendredi de campements, installés devant des agences onusiennes à Tunis, puis « déportés vers la frontière algérienne », selon le Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES).
Selon le FTDES, ces opérations font directement suite à une réunion jeudi à Rome des ministres de l’Intérieur d’Italie, Tunisie, Algérie et Libye. Le 17 avril, la Première ministre italienne Georgia Meloni s’est également rendue à Tunis, pour la quatrième fois en un an.
Pour la chercheuse contactée par InfoMigrants, elles surviennent aussi alors que des discours de plus en plus virulents des politiques à l’encontre des migrants sont visibles sur les réseaux sociaux.
L’objectif de ces expulsions pourrait être de vider la ville de Tunis de ces exilés, comme cela avait été fait en septembre dans le centre-ville de Sfax.
La Tunisie est l’un des principaux points de départ avec la Libye de l’émigration clandestine vers l’Italie. En 2023, pas moins de 1 313 personnes parties des côtes tunisiennes ont disparu ou sont mortes en mer Méditerranée, selon les chiffres du FTDES. Un nombre jamais atteint jusqu’ici. Et au moins deux tiers de ces exilés étaient originaires d’Afrique subsaharienne. Ce funeste bilan « équivaut à peu près à la moitié des morts ou disparus en Méditerranée » de 2023, a précisé Islem Ghaarbi de l’ONG tunisienne.