Face à la dématérialisation des démarches en ligne pour les étrangers, le Conseil d’état demande à l’exécutif de proposer des solutions de substitution et de mieux accompagner les usagers qui maîtrisent mal les outils numériques.
article par Julia Pascual publié sur le site lemonde.fr, le 03 06 2022
C’est un bémol apporté à la dématérialisation de toutes les démarches concernant les étrangers en France, en cours depuis plusieurs années. Dans une décision du 3 juin, le Conseil d’Etat a imposé au gouvernement de prévoir une solution de substitution au tout-numérique.
La plus haute juridiction administrative avait été saisie par plusieurs associations et syndicats, dont La Cimade, la Ligue des droits de l’homme ou encore le Syndicat des avocats de France. Ces derniers contestaient notamment le décret du 24 mars 2021, qui prévoit que toutes les démarches de demandes de titres de séjour se fassent progressivement par Internet.
Dans sa décision, le Conseil d’Etat a considéré que ce décret est illégal. « Le pouvoir réglementaire ne saurait édicter une telle obligation qu’à la condition de permettre l’accès normal des usagers au service public » et, pour ce faire, il lui incombe « de garantir la possibilité de recourir à une solution de substitution », notamment pour pallier les cas de « défaillance » du téléservice. Un étranger doit pouvoir déposer une demande de titre autrement qu’en ligne. En outre, les usagers qui n’ont pas d’outils numériques ou ne maîtrisent pas leur usage « doivent pouvoir être accompagnés ».
Files d’attente virtuelles
La numérisation des démarches pour les étrangers fait l’objet de vives critiques, en particulier du fait des difficultés de prise de rendez-vous en ligne face à des préfectures saturées. Sur ce point précis, le Conseil d’Etat dit, dans un avis du même jour, que la prise de rendez-vous en ligne ne peut pas être rendue obligatoire. « On se félicite que le Conseil d’Etat nous donne raison, réagit Lise Faron, de La Cimade. Les préfectures ne pourront plus imposer la prise de rendez-vous par Internet pour les demandes de titres. »
Alors que le ministère de l’intérieur vante « la fin des files d’attente » et une « démarche simplifiée », sur le terrain, le constat est beaucoup plus mitigé. Un rapport d’information du 10 mai de la commission des lois du Sénat a d’ailleurs estimé que des files d’attente virtuelles ont remplacé les files d’attente physiques devant les préfectures et que « les conditions d’accueil des étrangers et de délivrance de titres de séjour se sont dégradées au cours des dernières années ». En cause : un manque de moyens matériels et humains.
« Tant qu’il n’y a pas suffisamment de moyens consacrés au traitement des demandes, la situation d’engorgement des préfectures va perdurer, met en garde Lise Faron. On va espérer que les gens soient moins bloqués, seuls, derrière leur ordinateur. C’est un pas important. »