De l’islam, des musulmans et de la laïcité, entretien avec J.P Chevènement

N. Y. — Pensez-vous que l’intégrisme religieux suffise à expliquer le terrorisme djihadiste ?

J.-P. C. — Non. Mais il faut tout d’abord rappeler que le terrorisme djihadiste sous la forme du takfirisme frappe d’abord les musulmans : Algériens, Irakiens, Afghans, Syriens, ce sont eux qui ont payé le plus lourd tribut. Bien entendu, en Europe il y a d’autres facteurs qui interviennent, en particulier les discriminations que vous évoquiez tout à l’heure, et aussi le sentiment victimaire, quelquefois exagéré, qui nourrit les frustrations pouvant conduire au passage à l’acte terroriste. D’où la nécessité de lutter pour une meilleure justice sociale chez nous. Mais il faut bien le reconnaître, le fondamentalisme religieux existe depuis très longtemps : vous connaissez la tradition hanbalite qui remonte au IXe siècle, le wahhabisme qui existe depuis le XVIIIe siècle. Les Frères musulmans ont été créés au lendemain de la chute du califat ottoman en 1928. Ces courants littéralistes ont prospéré à bas bruit d’abord dans le monde musulman. C’est l’invasion de l’Afghanistan par les Soviétiques qui a suscité le djihad afghan, aidé et armé par les États-Unis, mais ce n’était pas seulement un djihad légitime contre un agresseur extérieur ; c’était aussi une radicalisation obscurantiste par rapport aux problèmes internes de l’Afghanistan, qui opposaient des factions modernistes à des factions obscurantistes.